Cools et sportifs, tels sont les nouveaux habits du personnel de salle. Leurs concepteurs, Cassandre Lanfranchi et Hugues Champendal, en dévoilent l’esprit et l’étoffe. Par Ivan Garcia

Aux Eaux-Vives, la Comédie a changé de dimension. Une ère inédite, donc, et un nouveau style, de communication et d’accueil. Dans cette dynamique, le choix de la tenue du personnel de salle n’était pas une mince affaire. C’est à Cassandre Lanfranchi, responsable de l’accueil des publics, qu’a été confiée la mission de concevoir un uniforme différent pour l’équipe des placeurs et placeuses de la maison. Les deux co-directeurs de l’institution, Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, lui ont laissé «carte blanche». L’enjeu: refléter l’esprit d’un lieu qui se veut inclusif, urbain, élégant et juvénile. 

Les dessous d’un costume

«Il fallait concrétiser notre nouvelle identité, l’assortir au bâtiment», explique Cassandre Lanfranchi dans le foyer des artistes. Au boulevard des Philosophes, jeans, t-shirt et blouson sweat noirs étaient de mise. Aux Eaux-Vives, un t-shirt rose et une veste grise habilleront les sherpas de la nuit. Responsable de salle, Hugues Champendal (en photo ci-dessus), arbore d’ailleurs l’ensemble.

Mais pourquoi ce «rose bubble-gum», à mi-chemin entre le rose fuchsia et le rose pâle? Il correspond à la charte graphique de la Comédie. Il rend surtout visibles les placeurs. Impossible de les manquer en cas de besoin. Ce t-shirt écologique, confectionné en fibre de bambou et fabriqué par l’Atelier Sonia Couture de Genève, est disponible à la fois en manches courtes et longues. Coquetterie? Nécessité plutôt. En hiver, les températures peuvent être polaires au point de transformer la nef en glacière. En été, le risque est qu’elle vire fournaise.

«C’est le froid qui a imposé la veste», raconte Cassandre Lanfranchi. En ce début d’été, on ne la verra pas. Il n’empêche qu’elle vaut le coup d’oeil. En sweat grise, elle fait écho au béton du bâtiment. C’est ce qu’a voulu la couturière Laurence Durieux qui a passé un mois sur place pour la concevoir. Sa forme «kimono» suggère légèreté et décontraction. Elle n’est pas boutonnée, ce qui lui donne un air de jeunesse. On admire les finitions en rose de la doublure. «Un des souhaits de la direction était que ce vêtement reste cool», détaille Cassandre Lanfranchi. Les placeurs ont d’ailleurs la consigne de venir en baskets et en jean pour compléter leur tenue. «Nous leur “interdisons” les chaussures, en fait, parce que nous souhaitons qu’il y ait un esprit jeune», poursuit notre interlocutrice. 

Cette simplicité a un autre motif: le personnel est susceptible de changer. L’habit devait donc être à la fois unisexe et pas totalement ajusté. «A chaque fois que la forme est trop ajustée ou marquée, il faut faire un vêtement sur mesure pour chaque personne. Chose impensable lorsque les membres de l’équipe changent chaque année», justifie la responsable. 

Clins d’oeil

Souplesse et clin d’oeil: tel est le charme du vêtement. Le «C» rose brodé sur la veste grise rappelle qu’il s’agit de la tenue officielle de la Comédie. Dans le dos, une autre inscription brille avec malice: «le beau rôle» scintille comme pour nous en mettre plein la vue. On la retrouvera sur le t-shirt mais en noir. 

La sobriété prend du temps, note Cassandre Lanfranchi. L’élaboration du costume a commencé en septembre 2020; un prototype a été essayé par Hugues Champendal en janvier 2021. Ce dernier souligne qu’il n’y a eu «aucune remarque négative» de la part des placeurs. Mieux, certains spectateurs souhaiteraient même acheter la tenue. Preuve s’il en est que ce changement de vêtement a trouvé son public. 

L’accessoire qui emballe: les placeurs porteront une sacoche avec le logo de la Comédie. L’endroit idéal pour ranger ses affaires personnelles, notamment son billet d’entrée. Autant dire qu’ils auront la banane.


Alors que les équipes de la Comédie étrennent leurs nouveaux murs, Anne Davier et sa bande ont reçu les clés du Pavillon de la danse

En octobre dernier, la Ville de Genève a donné officiellement les clés du Pavillon de la danse à l’Association pour la danse contemporaine – ADC. Nous étions peu nombreux dans la grande salle du Pavillon, place Sturm. Le plancher de danse n’était pas encore posé, le chantier n’était pas tout à fait terminé. Les clés étaient fausses –, attachées à un long cordon vert, elles semblaient sortir d’un conte de Perrault. La vraie clé, celle qui ouvre la porte du Pavillon côté Eglise russe, nous l’avons reçue le 21 décembre. Quand nous déménagerons en février, nous recevrons des dizaines de badges pour ouvrir les quelques 70 portes encodées du Pavillon.

Prendre les clés malgré tout, sans fête, sans public, mais avec joie !

Les endomorphines de l’endurance

La lenteur de ce projet a dilaté le temps – comme la gestation de la Comédie des Eaux-Vives, dont l’origine remonte au rapport de Mathias Langhoff en 1988. Nous avons vieilli depuis ses prémisses – pour ma part, je m’y suis attelée de mes 30 à mes 50 ans. Quelque chose d’intéressant s’est infiltré, engrammé dans la structure du corps et de l’esprit, quelque chose de calme et de passionné, permettant aux pieds, aux mains, à la tête de nous faire avancer avec un élan à peine conscient, animal. Comme lors d’une course d’endurance, la libération d’endomorphines et ses déferlantes (vitalité, enthousiasme, ivresse) nous a soutenus, et avec elle la conviction tranquille d’aboutir quelque part.

Une histoire d’amitié

Nos liens de travail et d’amitié se sont aussi renforcés. Pour faire court, il y a entre nous une forme de solidarité souvent implicite et transmise parfois par autre chose que les paroles. Marc Gaillard, le tout premier directeur technique de l’ADC, était un premier de cordée : en homme généreux, il a amorcé le programme du Pavillon en se projetant dans un espace complexe mais pratique, en se souciant du bien-être de chacun de ses occupants : artistes, techniciens, livreurs, chargés d’entretien, spectateur, costumier, barman… Le théâtre est un lieu de vie, disait-il, chacun doit s’y sentir comme chez soi.

Alexandre Forissier, ingénieur scénographe, a pris le relais en redimensionnant les espaces rêvés par Marc. Sur la parcelle modeste de la place Sturm, il a imaginé un théâtre cohérent et défini son identité, en proposant une scène-salle conçue comme un espace unique, avec ou sans gradin, totalement homogène avec un plancher adapté pour la danse.

Noemi Lapzeson, marraine secrète

Enfoui sous ce plancher, il y a un petit coffret en bois dans lequel ont été déposés des biens précieux. Entre autres, trois cailloux blancs. Ces cailloux ornaient le rebord de la fenêtre de l’appartement de Noemi Lapzeson, chorégraphe aujourd’hui disparue. Si Noemi ne s’intéressait pas tellement au Pavillon (il ne sera pas pour moi, disait-elle), elle se préoccupait de l’ADC qu’elle a fait naître en 1986 et qu’elle a vu grandir. Et parce que nous nous déplaçons aujourd’hui au Pavillon, les trois cailloux blancs de Noemi y sont aussi.

Juste avant Noël, en traversant cet espace extraordinairement large, long et haut, j’ai pensé à notre espace intérieur, celui de nos corps, de nos imaginaires, au regard qui touche, aux mouvements que nous pourrons inventer pour vivre bien, sauter, tourner et célébrer notre humanité.

Anne Davier, directrice de l’Association pour la danse contemporaine.

Photo: Nathan Bugniet

La scénariste et dramaturge Julie Gilbert est l’une des trois conceptrices du feuilleton théâtral genevois, «Vous êtes ici». Elle a pénétré, un jour de pluie, dans le phare des Eaux-Vives

Je suis entrée pour la première fois à la Comédie la semaine dernière. Il pleuvait des cordes et je n’arrivais pas à trouver l’entrée. J’ai longé la longue paroi de verre, le long couloir vide de ce qui sera bientôt l’entrée officielle, l’immense rue pour acheminer les transports où des types fumaient leur cigarette comme s’ils étaient sur le quai d’un port et je suis arrivée de l’autre côté. Côté esplanade.  

Donc c’est ça, je suis entrée pour la première fois à la Comédie ce jour de pluie et en passant la porte vitrée, je me suis rendue compte que je n’entrais pas juste dans un bâtiment, pas juste dans une nouvelle institution mais dans le rêve d’un groupe. C’est rare d’entrer dans un rêve communautaire, commun. On entre souvent dans des rêves privés, on visite les maisons de ses ami·es, les ateliers, les jardins, les cabanes, mais le rêve d’un groupe, c’est rare. Surtout un rêve institutionnel. Pas une ZAD. Pas un squat. Pas un lieu surgi d’une lutte. Un rêve à l’échelle d’une ville.  

Je ne suis pas Genevoise, et au départ même pas Suissesse, et avec la Comédie -boulevard des philosophes- je n’ai presque aucune attache. Je n’y ai rien vu enfant, ni adolescente. Et adulte, comme je travaillais pour le cinéma et que curieusement ces deux milieux ne se regardent pas, pendant longtemps je ne suis pas allée au théâtre à Genève.  

Quand j’entre à la Comédie, je ne fais donc aucun lien. Je ne reconnais pas le mobilier du boulevard des philosophes, je ne peux pas comparer les loges ou les bureaux. Je le vois là tel qu’il est. Un rêve immense. Un rêve gigantesque.  

Il me rappelle pourtant un lieu que je connais : la maison de la culture à Grenoble, qu’on appelait dans les années 90 Le Cargo. Jean-Claude Gallotta alors à la tête. Plateau immense, théâtre mobile. Je vois Fosythe, Preljocaj, Childs, The Living theatre, Muller, Koltès, Kantor et beaucoup d’autres. J’étais adolescente, je découvrais le théâtre et la danse et je croyais que c’était normal de voir tous ces gens. Qu’on les voyait partout. Mais ensuite quand pendant 15 ans, j’ai revu ces mêmes créateurs·trices sur les scènes européennes, j’ai compris que Gallotta avait fait ce travail là : être en amont. La maison de la culture était aussi un rêve communautaire dans un quartier de Grenoble excentré, à mi-chemin entre le centre bourgeois et la cité de la Villeneuve. 

En passant la porte de la Comédie, je pense à ça. 

Au fait que je marche dans le rêve d’un groupe formulé il y a vingt ans. A un moment où on croyait à ces théâtres-maison, ces théâtres-entreprises, à ces théâtres-ville. Aux troupes. Aux projets pharaoniques. Au théâtre populaire. 

Et aujourd’hui ? En marchant dans les couloirs de béton, en me perdant à chaque étage, en découvrant les salles de réunion les unes à côté des autres, les open space, je cherche le végétal, le collectif, le poreux. Bien sûr, c’est mon premier réflexe. Me demander si cette architecture peut porter le rêve d’aujourd’hui. Celui d’être plus léger·e, plus mêlé·e, plus humble comme humanité. 

Un phare rugissant

Puis, en découvrant le plateau, vaste, beau, j’ai brusquement cette image : faire surgir de terre un bâtiment aussi énorme dédié à la culture et non au commerce, à la consommation, au parking, au transport, me semble être le signal le plus juste que l’on puisse donner à notre société.  Le phare est immense pour rappeler que nous avons besoin de lieux pour penser.  Le phare est puissant, car nous voyons comment la culture est considérée dans un moment de crise comme nous le vivons. Le phare est rugissant car il faudra faire porter loin et longtemps la voix pour qu’elle s’entende. 

A la nouvelle équipe, à Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, à nous toutes et tous de savoir maintenant comment l’habiter cet hôtel de verre, comment y monter nos campements, comment y faire des barricades, comment y faire entendre les histoires dont on a cruellement besoin pour garder toujours en nous le courage d’agir et de penser en amont et à côté, maintenant, demain et tout à l’heure. 

Julie Gilbert

Se balader dans le théâtre des Eaux-Vives comme s’il était déjà ouvert, c’est ce que permet le chorégraphe Gilles Jobin jusqu’au 12 décembre. Rencontre avec le jeune homme qui a conçu cette immersion bluffante

Il ouvre la porte à l’instant. Sourire large, Tristan Siodlak est chez lui dans le studio de Gilles Jobin, à dix pas chassés du Rhône à Genève. Avec sa chemise en jean et ses tatouages, il se distingue. Un artiste, se dit-on. Il l’est à sa façon. Tristan Siodlak exerce un métier peu connu du grand public, celui de Lead Artist Design 3D. Sa prouesse? C’est lui qui a modélisé la nouvelle Comédie en trois dimensions pour l’installation imaginée par le chorégraphe Gilles Jobin. Grâce à la VR [ndlr : Virtual Reality/Réalité Virtuelle], le public plonge dans les entrailles de ce futur théâtre et y déambule – presque – à sa guise.

La balade est bluffante. Elle a nécessité un an de travail, raconte le jeune homme autour d’un café, dans la cuisine du studio. Et de dévoiler les dessous d’une entreprise titanesque.

Le Temps de la Comédie: Pour le projet «La Comédie virtuelle», vous occupez la fonction de Lead 3D Artist [ndlr : chef-artiste 3D/chef-graphiste 3D] pour la Cie Gilles Jobin. Depuis combien de temps travaillez-vous dans le milieu de l’infographie et de la modélisation tridimensionnelle ?
Tristan Siodlak: Je travaille dans le milieu depuis environ six ans.
J’ai débuté avec le statut d’infographiste, puis je suis passé à celui de 3D Artist. Désormais, avec la Cie Gilles Jobin, j’occupe la fonction de Lead 3D Artist.

Vous avez commencé votre parcours par un bachelor en infographie à l’Ecole Bellecour de Lyon. Ensuite, vous avez travaillé pour une entreprise genevoise de jeux vidéo. Dès lors, comment êtes-vous arrivé au sein de la Cie Gilles Jobin ?
C’est parce que j’ai été engagé par une entreprise active dans les domaines de la communication, de l’horlogerie, du cinéma d’animation et des jeux vidéo que j’ai débarqué à Genève. A l’époque où je travaillais pour cette société, j’étais à la recherche d’autres projets. En 2017, j’ai été embauché par la Cie Gilles Jobin pour sa création VR_I. Suite à cela, j’ai enchaîné avec Artanim avant de revenir auprès de Gilles Jobin, avec qui j’ai travaillé sur d’autres projets tels que Magic Window (2019), Real Time (2020) et La Comédie virtuelle (2020).

Vous travaillez plutôt dans le domaine des jeux vidéo, une chose que l’on ne voit pas forcément au théâtre. A priori, vous êtes donc plutôt éloigné de l’art dramatique. Quels sont vos liens avec la scène ?
A la base, je n’ai pas tellement de liens avec le théâtre ou la danse, si ce n’est que j’aimais bien ces arts quand j’étais jeune. Ici, j’ai tout de même dû me documenter pour pouvoir travailler. A force d’exercer dans ce milieu et de voir des spectacles, mon regard sur les arts de la scène, ainsi que ma manière de travailler, ont changé. Lorsque l’on travaille sur des moteurs temps réel, cela nécessite d’avoir des notions qui sont plus proches des jeux vidéo que du film d’animation. Avec La Comédie virtuelle, nous sommes clairement dans cette logique: le spectateur se balade avec un casque de réalité virtuelle et interagit avec son environnement.

Devez-vous donc coder au fur et à mesure ?
Je ne m’occupe pas du codage, parce que cette partie ne fait pas partie de mon métier. Les métiers d’infographiste 3D, d’Artist 3D, ainsi que Lead Artist 3D, sont des fonctions qui sont toujours axées sur la création de contenus numériques. Pour les créer, je dessine ou sculpte des éléments, par exemple. Cette manière de travailler s’apparente davantage à l’artisanat qu’à la programmation. Je m’occupe principalement de la partie esthétique et visuelle de nos créations.

Pour modéliser la nouvelle Comédie, avez-vous eu accès au chantier?
Je me suis basé sur les plans en deux dimensions que j’avais reçus de la part des architectes de la nouvelle Comédie. J’ai donc passé pas mal de temps à comprendre quelles étaient les pièces la composant, parce qu’évidemment je n’avais pas encore vu le bâtiment en vrai. J’avais néanmoins pu examiner des maquettes que les architectes avaient réalisées, mais celles-ci étaient des prototypes… Il m’a fallu du temps pour comprendre comment était construit le bâtiment et comment j’allais le découper. Au cours de ce processus, j’ai modélisé tous les murs et toutes les pièces composant la nouvelle Comédie, avant de pouvoir procéder à un choix sur les pièces à supprimer.

Qu’est-ce qui a été supprimé dans le théâtre auquel a accès le spectateur dans «La Comédie virtuelle»?
Pour comprendre ce point, il est important de souligner que nous utilisons un moteur temps réel pour La Comédie virtuelle. Cela signifie que tout ce que l’on voit est calculé en temps réel sur la machine, contrairement à ce qui se passe pour des films par exemple. Pour faire simple, lorsque l’on utilise un moteur en temps réel, il faut mener une réflexion sur les objets
et les choses que l’on modélisera et s’interroger sur la nécessité de leur présence. Si on modélise un élément, c’est qu’il est nécessaire. Sinon, cela risque d’être problématique et d’entraîner des complications pour les utilisateurs: le programme peut ne pas marcher sur certains ordinateurs ou être trop gourmand en ressources. En résumé, toutes les réalisations graphiques occupent de la mémoire, raison pour laquelle nous n’allons montrer que les éléments auxquels le spectateur a accès.

Pouvez-vous nous donner un exemple ? Et nous expliquer comment se déroule le processus de modélisation?
Bien sûr ! Si j’ai modélisé des toilettes à un endroit et que je décide que cela ne sert à rien d’y donner accès, je les supprimerai pour ne pas charger la modélisation avec des éléments qui ne seront pas utilisés, accessibles ou visibles. La modélisation demande un travail en plusieurs étapes. D’abord, il est nécessaire de bien comprendre l’environnement que l’on modélise. Ensuite, il faut s’interroger sur les pièces auxquelles le public aura accès. A partir de là, il faut commencer à faire des blocs qui seront chargés au fur et à mesure. En effet, le bâtiment de la nouvelle Comédie est énorme et on ne peut le charger dans son intégralité en un seul coup.

C’est la raison pour laquelle on n’a pas accès à toutes les pièces?
Il y a effectivement ce problème posé par le chargement, ce qui fait que nous avons dû supprimer les accès à certaines pièces. Mais il y a également un problème posé par la navigation. Pour ce projet, nous souhaitions donner au public un accès public et un accès backstage. Dans La Comédie virtuelle, l’accès public est assez fluide. En revanche, l’accès backstage pose problème: beaucoup d’éléments tels que les ascenseurs et les
interactions demandent une logique plus vidéoludique et plus gourmande en ressources telles que la mémoire graphique. Notre objectif était de réaliser une interface simple pour que le public, qui n’est pas familier avec l’univers des jeux vidéo ou les nouvelles technologies, puisse en comprendre le fonctionnement et se mouvoir facilement. Par la suite, une fois que nous aurons résolu cette problématique d’utilisateur, nous ouvrirons ces salles qui ont déjà été modélisées au public.

Au cours de la balade, on croise des donuts et des mannequins qui dansent, des gros nounours et d’autres créatures étranges. Il semblerait que vous vous soyez bien amusé…. Combien de temps ce projet vous a-t-il pris ?
J’ai commencé en septembre 2019. Cette création m’a donc occupé environ une année. Notez que j’ai été épaulé par deux personnes pendant environ trois mois et demi. Concernant les personnages, l’idée a germé en cours de route. Nous avons commencé cette modélisation en créant les salles, les murs et la structure. Mais, très rapidement, nous nous sommes rendus compte que cela pouvait donner l’impression d’une « visite d’architecte ». Ce qui n’était pas du tout notre objectif ! Nous souhaitions créer un endroit où il y ait de la vie. Nous avons alors décidé de modéliser différents types de personnages venus d’horizons multiples (des nounours, des aliens, des danseurs, des donuts…).

Ces personnages sont singuliers. Ils sont bien là mais le public ne peut pas interagir avec eux. Pourquoi?
Comme nous sommes dans un univers numérique, il n’y a pas vraiment de règles. En fait, c’est nous qui choisissons quelles règles nous souhaitons nous fixer et appliquer. La particularité de ces personnages est que le public n’interagit pas avec eux, puisqu’ils ne viennent pas de notre monde et suivent leurs propres règles. Cette absence d’interaction entre
le public et les personnages permet que notre invention fonctionne.

Vous poussez très loin le souci du détail. Les ombres des objets ou des avatars ont été modélisées, les horloges à l’intérieur du théâtre virtuel indiquent la même heure que celles de notre réalité. C’est méticuleux.
Lorsque l’on modélise un espace en trois dimensions, il ne faut pas oublier la logique des traces de vie. Autrement dit, pour que l’espace paraisse crédible, il faut toujours modéliser des détails ou des objets qui suggèrent l’existence du lieu. A titre d’exemple, si je souhaite modéliser cette pièce où nous sommes actuellement, je commencerai par faire les murs, créer la texture des murs, le sol, placer des portes, et ainsi de suite. Pour ce qui est des murs, je rajouterai peut-être une prise électrique. Même si le public n’a aucune interaction avec elle, il la verra. Il faut qu’on croie au lieu! Quand il circule dans la Comédie virtuelle, le public découvre des sacs, des chaises, autant d’accessoires disséminés qui rendent le lieu vraisemblable.


Modélisez-vous tous les éléments dans vos créations ?

Dans l’absolu, j’aimerais être capable de modéliser tous les éléments, mais je n’ai hélas pas le temps. Il s’agit donc de choisir ce qui est nécessaire pour rendre l’espace crédible et vivant. Il faut être conscient qu’avec le numérique, on peut tout faire. C’est aux créateurs de faire des choix.

Propos recueillis par Ivan Garcia







Alors que la Comédie de Genève déménage, le Musée de l’Elysée se prépare à intégrer le complexe Plateforme 10, avec une réouverture prévue en juin 2022. Sa directrice, Tatyana Franck, raconte cet extraordinaire transfert Par Léo Tichelli

800 000 négatifs, 200 000 diapositives, 200 000 tirages, 35 ans d’histoire.  Le Musée de l’Elysée commençait à être à l’étroit dans la splendide maison de maître du XVIIIe siècle qu’il occupe depuis 1985. Il était temps de changer d’air et de trouver une enveloppe à sa mesure. Direction Plateforme 10, complexe culturel sorti de terre il y a peu, situé à un jet de pierre de la gare de Lausanne.

Mais comment déplace-t-on un tel paquebot, riche de plus d’un million d’objets? Tatyana Franck (photographiée ci-dessus par Salvatore Di Nolfi de Keystone), directrice du musée depuis 2015, détaille les spécificités de cette entreprise à la fois titanesque et sentimentale. 

Quelle est la raison première de ce déménagement ?

Tatyana Franck: Nous changeons de lieu, car le musée de l’Elysée est installé depuis 1985 dans une maison du XVIIIe siècle avec des espaces restreints et non modulables. Impossible par exemple de présenter une photo de 5 mètres de long. Nous ne pouvons pas non plus accueillir un public en situation de handicap. Aujourd’hui, le rayonnement international de notre musée nous pousse à passer à la vitesse supérieure et à investir un bâtiment pensé dès le départ pour la photographie.

Quelles sont les étapes successives du déménagement ?  

Le compte à rebours a commencé en mai 2019, période à laquelle nous avons pris la décision de fermer les collections. Celles-ci comptent plus d’un million d’objets regroupés sur quatre sites : l’Elysée où se trouvent les œuvres les plus précieuses, mais aussi Corbeyrier, Lucens et Sévelin. Il était d’abord important de faire un inventaire de tout ce que nous possédons et de préparer le déménagement en fonction des formats, des techniques et des supports.

Nous organisons également un dernier grand événement qui s’intitule Le dernier éteint la lumière. Il aura lieu les 27 et 28 septembre prochain pour clore trente-cinq ans d’histoire à l’Elysée. Nous présenterons ensuite au public nos nouveaux locaux vides à Plateforme 10 pendant quatre jours en novembre 2021. Il y aura une carte blanche sous forme de projections. Suite à cela, nous déménagerons à proprement parler pour une réouverture complète en juin 2022.

Qu’est-ce qui changera entre les anciens lieux et les nouveaux?

Nous allons regrouper sur un seul et même site l’ensemble de nos collections. Nos réserves seront directement situées à Plateforme 10, réparties dans plusieurs pièces à des températures spécifiques : 18 degrés pour le noir et blanc, 12 pour la couleur et 6 pour les négatifs. Il va donc falloir fournir un important travail de séparation des supports car, pour le moment, tout est classé par format. Nous allons devoir tout séparer, inventorier et reconditionner.

Les espaces d’exposition seront donc beaucoup plus grands?

Oui. Nous doublons nos surfaces d’exposition et triplons nos espaces de réserve. Certains lieux seront partagés avec le musée du design. Nous aurons un atelier technique en commun. Il y aura également une boutique, une librairie et une cafétéria . Le principal avantage sera d’avoir des lieux modulables et flexibles pour proposer des expositions différentes de ce que nous pouvions mettre sur pied à l’Elysée.

Qui coordonne déménagement ? 

L’ensemble des équipes du musée est impliqué. Je souhaite que tout le monde puisse travailler dans les collections, de la technique à l’administration. Le but est que tous nos collaborateurs soient partie prenante de ce projet car c’est un moment historique.

Vous inspirez-vous du déménagement d’autres lieux culturels? 

Mon équipe et moi-même avons beaucoup voyagé avant le coronavirus afin d’échanger avec d’autres institutions et nous renseigner sur les meilleures pratiques à adopter pour un tel déménagement. Nous sommes également en contact étroit avec le Mudac, ainsi qu’avec le musée des Beaux Arts qui a déjà déménagé à Plateforme 10.

Quels sont les principaux écueils à éviter ?

Il y en a énormément. Je vous donne un exemple. Nous avons appris grâce à l’expérience de nos confrères qu’il faut une année complète pour stabiliser les climats et l’hygrométrie des réserves. Après l’ouverture au public du bâtiment vide en novembre 2021, nous allons attendre quatre saisons avant de déménager les œuvres pour s’assurer que tout soit bien stable.

Comment ne pas perdre le public pendant cette période de transition ?

C’est tout l’enjeu de la communication. Nous allons donc mettre sur pied un certain nombre de projets, comme le Photomobile Elysée, un bus qui ira à la rencontre des élèves de la région et proposera des workshops pour les 4 à 18 ans, ainsi que dans les EMS. Nous lançons aussi un blog avec Le Temps. Ce partenariat nous permettra de dévoiler les coulisses de notre institution et de montrer qu’un musée ne se résume pas seulement à ses expositions.

Avez-vous déjà dû faire face à des imprévus ?

Des imprévus, il y en a toujours. Mais nous avons eu énormément de chance car malgré le coronavirus, le chantier n’a subi que quatre jours d’arrêt. C’est bien pendant cette période de crise mondiale d’avoir un projet phare qui va de l’avant. C’est un très beau message pour le public.   

Le public risque-t-il d’être nostalgique de la maison de l’Elysée?

Nos visiteurs y sont très attachés , mais il faut que nous leur fassions comprendre que Plateforme 10 pourra bien mieux les accueillir. Nous conservons aussi l’âme de l’Elysée, car ce n’est pas le bâtiment qui fait véritablement l’ADN d’un musée, ce sont les personnes qui y travaillent. Notre vision de la photographie restera inchangée.

D’un point de vue personnel, comment abordez-vous cette phase?

Ça sera formidable. Même si nous fermons provisoirement, nous restons présents à l’étranger avec de nombreuses expositions qui voyagent à travers le monde.  Et puis un an et demi, ça va passer très rapidement. C’est une belle page qui se tourne.

Propos recueillis par Léo Tichelli

«(Re) visitez vos souvenirs!» vous invite à identifier une photo de spectacle légendaire. La première, publiée samedi, représente «L’Oiseau vert». Camille Bozonnet éclaire son contexte

« C’est technique, c’est magique, c’est du théâtre ! », écrivait Jacques Poulet dans «Révolution», le 24 janvier 1983.

2 novembre 1982. Spectacle d’ouverture de Benno Besson, L’Oiseau vert *  produit une extraordinaire déflagration.

Non seulement cette pièce-fable de Carlo Gozzi préserve la maison du péril rouge  que laissait présager l’arrivée de la star est-berlinoise.

Mais elle propulse le public genevois dans l’univers onirique, fantaisiste, insolent de liberté de Benno Besson, servi par les décors rapiécés  de Jean-Marc Stehlé et les déroutantes faces de cuir  de Werner Strub.

Avec ce coup de maître, Benno Besson installe son théâtre populaire au cœur de la cité. Sa féerie est pertinente parce que « ses personnages sont arrachés de la réalité, ils sont légendaires, mythiques, ils perturbent le réel au lieu de le conforter, de le reproduire, comme aujourd’hui le cinéma, la télévision, la peinture, la littérature. »1

A la fin de la saison 84-85, le pari populaire semble gagné : le bouclement des comptes dégage un bénéfice, les abonnements sont doublés, la fréquentation moyenne avoisine les 70%.

Camille Bozonnet, curatrice de l’exposition «(Re)visiter la Comédie!»

 

1- Benno Besson cité par la journaliste Armelle Heliot dans «Le Figaro».

*1982_L’oiseau vert_©claude gafner

Le Vert Alfonso Gomez a beaucoup bourlingué avant de siéger au Conseil municipal. Candidat à l’Exécutif de la Ville, il a hâte de voir la Comédie reprendre son vol aux Eaux-Vives

Écrire sur la nouvelle Comédie, en confinement depuis 10 jours, et rêver quelques instants. Me souvenir du dernier spectacle, «Dom Juan» de Molière par la compagnie des Fondateurs. Un beau spectacle, une salle pleine de jeunes et la force du texte si actuel en plein débat sur les Césars et les violences faites aux femmes.

Une dernière soirée, à la Comédie des Philosophes. La dernière soirée en fait. Avant l’annonce de la fermeture, brutale, liée au coronavirus. Les derniers spectacles sont annulés, le chantier de la nouvelle Comédie est stoppé, le déménagement repoussé. Les adieux à l’institution se font chacun.e chez soi, en quarantaine.

Les images et les sensations de la dernière saison remontent à la surface : des rencontres chaleureuses après le très touchant spectacle d’Anne Bisang ou encore les folies humanistes de Pippo Delbono. Je me rappelle aussi la découverte extraordinaire de l’univers virtuel de Gilles Jobin ou encore de l’artiste brésilienne Christiane Jatahy qui nous a fait voyager de la scène à l’écran, une soirée magique.

«Nécessité de soutenir l’économie du spectacle»

Tous ces souvenirs nous rappellent la singularité des arts que l’on appelle vivants. Ces créations qui se partagent dans un temps éphémère, nous rassemblent dans un lieu et laissent des traces dans nos âmes. Genève a une formidable scène artistique, très diversifiée. La crise que nous traversons nous aura convaincu, s’il le fallait, que l’art nous est indispensable, que l’économie du spectacle est fragile et qu’il est nécessaire de la soutenir. C’est une préoccupation constante de la Ville de Genève qui devra s’engager fortement dans les années à venir aux côtés des institutions et des artistes qui nous aident à vivre et à penser.

Dans l’attente de la réouverture de nos scènes et de la fin des travaux de la future Comédie de Genève au Eaux-Vives, je tiens à remercier les artistes et toutes celles et ceux qui ont fait la Comédie au boulevard des Philosophes. Dans ce moment de tragédie, savoir qu’un jour prochain, à nouveau, nous sortirons au spectacle, ensemble, donne de l’espoir.

La Comédie reprendra son vol et nous serons présents, pour fêter ensemble un nouveau théâtre et y partager les joies et les peines de la condition humaine.

Alfonso Gomez, candidat des Verts au Conseil administratif de la Ville de Genève