Directrice de la production, cette fervente discrète joue un rôle central au moment où la Comédie s’érige en pôle de création européen

La discrète, c’est elle. Elle faufile sa silhouette de ballerine sous un soleil d’opéra, à dix pas chassés de la Comédie des Eaux-Vives. «Une limonade, Julie ?» Un tram lâche un geignement et la chaussée tousse un instant. Julie Bordez s’éclaircit sous vos yeux, un sourire et c’est son enfance farouche qui s’affiche comme par enchantement. Cette jeune mère paraît aérienne. Elle est terrienne en réalité, stratège quand il faut, entremetteuse aussi, comme on dit dans les comédies de Marivaux. Elle imagine des mariages et cette spécialiste des arrangements fait en sorte qu’ils soient heureux.

Julie Bordez ne dirige pas une agence matrimoniale, elle a la haute main sur la production à la Comédie – directrice de la production, dans le jargon. Au côté des codirecteurs Denis Maillefer et Natacha Koutchoumov, elle est cette intendante de l’ombre qui, avec son équipe, rend possibles les spectacles de la maison, qui prévoit les moyens de les financer, qui sollicite à cette fin des partenaires suisses ou internationaux, qui organise les planning de travail des mois à l’avance, qui veille à satisfaire les besoins des professionnels.

«Mon métier consiste à écouter les désirs des créateurs quand ils présentent un projet, à leur suggérer, quand ils viennent d’ailleurs, des rencontres avec des comédiens ou des comédiennes, des scénographes et des éclairagistes d’ici ; à démarcher les institutions qui, outre la Comédie, pourraient contribuer à sa réalisation. C’est à chaque fois un processus au long cours, qui peut se dérouler sur deux ans, comme dans le cas récent du spectacle de Christiane Jatahy, Entre chien et loup, d’après Dogville, le film de Lars von Trier.»

Un géant sur l’échiquier européen

Produire reviendrait donc à édifier une tour Jenga, cette prouesse enfantine qui consiste à superposer des lamelles en bois, puis à les retirer avec doigté, sans que l’édifice s’écroule. Joie de l’adresse, de la persévérance, de l’intuition. L’enjeu, en cette rentrée artistique tellement attendue, est considérable: dotée désormais d’ateliers de construction à demeure, d’un budget qui avoisine les 16 millions, d’une équipe de 74 personnes, la Comédie jouera les premiers rôles en Suisse et en Europe. «Rien que la saison prochaine, nous aurons sept productions maison, en gestation depuis deux ans, 15 coproductions et 11 accueils.»

Preuve de de ce statut nouveau, Entre chien et loup, produit par la Comédie, ainsi que La Cerisaie de Tchekhov avec Isabelle Huppert, coproduit par la maison, ont lancé le même jour le dernier Festival d’Avignon. « Nous rassemblons au même endroit des studios de répétition, deux salles et des ateliers, soit des équipes ultra-compétentes qui permettent de concrétiser des projets d’envergure. Cette organisation nous projette dans une autre dimension et nous vaut d’être très sollicités.»

L’heure est aux équipées européennes. Cet automne, la Comédie et sa caravane se déploieront en France, à Lisbonne et à Milan, au Piccolo Teatro, le fief jadis du maestro Giorgio Strehler. Julie Bordez est diplomate à sa façon obstinée et pudique. Elle négocie des alliances, en Suisse et à l’étranger. Elle maîtrise ses chiffres, les quotes-parts des uns et des autres, les retombées ailées des équations migraineuses. Mais cette algèbre est loin de l’animer uniquement, souffle-t-elle.

L’obsession du beau geste

«C’est le lien avec le plateau qui compte pour moi. J’assiste le plus possible aux répétitions. Je fais ce métier pour voir comment une histoire naît sur les planches, pas pour faire des plannings. Si je me glisse dans les salles pendant cette phase de travail, c’est aussi pour prendre la température du plateau. S’il y a quelque chose qui suscite une tension, il faut apporter des solutions.»

Face à sa limonade, Julie Bordez a la tête soudain ailleurs. Elle a six ans et elle danse en tutu. Elle assimile la mécanique de la grâce et elle tourbillonne comme dans Casse-Noisette. «Je voulais être danseuse, mon héroïne était Sylvie Guillem, j’allais voir des spectacles. Mais ce désir d’être sous les projecteurs m’est passé assez vite. Ce qui est resté, c’est la passion du geste artistique, de la matière qu’il enfante. Celui de Fra Angelico, cet artiste italien du Moyen Age, m’émeut beaucoup, mais je pourrais dire de même du peintre allemand Gerhard Richter.»

Le parrainage de René Gonzalez

La discrète tient son fil. Il conduit aux tréteaux. Elle apprend ainsi le métier auprès de directeurs qu’elle admire, en France et en Suisse. Elle travaille au Théâtre de Vidy dans l’équipe de René Gonzalez, ce coriace au regard bleu, prêt à tout pour un ami. «J’étais venue pour trois mois, mais il m’a engagée. C’était le complice des poètes. Il se mêlait de tout, mais sans jamais se mettre en avant. Il disait qu’il était le portier du théâtre, il l’ouvrait le matin, le fermait le soir.»

Ce sens de l’abnégation, elle l’affine encore au Festival d’Avignon, avec Olivier Py. «Il est érudit et profondément drôle. Il possède une énergie, une vivacité qui lui permet de voir loin. Son théâtre lui ressemble, il est fantasque, fervent, épique, comme une source jaillissante permanente.»

Julie Bordez ne s’enflamme pas, même sous un soleil lyrique, mais elle a des élans à revendre. Elle a hâte de voir vibrer cette Comédie qui l’a tellement impressionnée le jour où elle y a mis les pieds la première fois. «Je me suis sentie très petite, mais ces dimensions ouvrent des imaginaires. J’ai envie d’y voir tant de choses, des acrobates flirter avec les cintres, des danseurs suspendre le temps sur le parvis.» Son métier a ceci de beau : il favorise ces sorcelleries du soir, avec cette discrétion qui est l’apanage des fileuse de songes.

Cools et sportifs, tels sont les nouveaux habits du personnel de salle. Leurs concepteurs, Cassandre Lanfranchi et Hugues Champendal, en dévoilent l’esprit et l’étoffe. Par Ivan Garcia

Aux Eaux-Vives, la Comédie a changé de dimension. Une ère inédite, donc, et un nouveau style, de communication et d’accueil. Dans cette dynamique, le choix de la tenue du personnel de salle n’était pas une mince affaire. C’est à Cassandre Lanfranchi, responsable de l’accueil des publics, qu’a été confiée la mission de concevoir un uniforme différent pour l’équipe des placeurs et placeuses de la maison. Les deux co-directeurs de l’institution, Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, lui ont laissé «carte blanche». L’enjeu: refléter l’esprit d’un lieu qui se veut inclusif, urbain, élégant et juvénile. 

Les dessous d’un costume

«Il fallait concrétiser notre nouvelle identité, l’assortir au bâtiment», explique Cassandre Lanfranchi dans le foyer des artistes. Au boulevard des Philosophes, jeans, t-shirt et blouson sweat noirs étaient de mise. Aux Eaux-Vives, un t-shirt rose et une veste grise habilleront les sherpas de la nuit. Responsable de salle, Hugues Champendal (en photo ci-dessus), arbore d’ailleurs l’ensemble.

Mais pourquoi ce «rose bubble-gum», à mi-chemin entre le rose fuchsia et le rose pâle? Il correspond à la charte graphique de la Comédie. Il rend surtout visibles les placeurs. Impossible de les manquer en cas de besoin. Ce t-shirt écologique, confectionné en fibre de bambou et fabriqué par l’Atelier Sonia Couture de Genève, est disponible à la fois en manches courtes et longues. Coquetterie? Nécessité plutôt. En hiver, les températures peuvent être polaires au point de transformer la nef en glacière. En été, le risque est qu’elle vire fournaise.

«C’est le froid qui a imposé la veste», raconte Cassandre Lanfranchi. En ce début d’été, on ne la verra pas. Il n’empêche qu’elle vaut le coup d’oeil. En sweat grise, elle fait écho au béton du bâtiment. C’est ce qu’a voulu la couturière Laurence Durieux qui a passé un mois sur place pour la concevoir. Sa forme «kimono» suggère légèreté et décontraction. Elle n’est pas boutonnée, ce qui lui donne un air de jeunesse. On admire les finitions en rose de la doublure. «Un des souhaits de la direction était que ce vêtement reste cool», détaille Cassandre Lanfranchi. Les placeurs ont d’ailleurs la consigne de venir en baskets et en jean pour compléter leur tenue. «Nous leur “interdisons” les chaussures, en fait, parce que nous souhaitons qu’il y ait un esprit jeune», poursuit notre interlocutrice. 

Cette simplicité a un autre motif: le personnel est susceptible de changer. L’habit devait donc être à la fois unisexe et pas totalement ajusté. «A chaque fois que la forme est trop ajustée ou marquée, il faut faire un vêtement sur mesure pour chaque personne. Chose impensable lorsque les membres de l’équipe changent chaque année», justifie la responsable. 

Clins d’oeil

Souplesse et clin d’oeil: tel est le charme du vêtement. Le «C» rose brodé sur la veste grise rappelle qu’il s’agit de la tenue officielle de la Comédie. Dans le dos, une autre inscription brille avec malice: «le beau rôle» scintille comme pour nous en mettre plein la vue. On la retrouvera sur le t-shirt mais en noir. 

La sobriété prend du temps, note Cassandre Lanfranchi. L’élaboration du costume a commencé en septembre 2020; un prototype a été essayé par Hugues Champendal en janvier 2021. Ce dernier souligne qu’il n’y a eu «aucune remarque négative» de la part des placeurs. Mieux, certains spectateurs souhaiteraient même acheter la tenue. Preuve s’il en est que ce changement de vêtement a trouvé son public. 

L’accessoire qui emballe: les placeurs porteront une sacoche avec le logo de la Comédie. L’endroit idéal pour ranger ses affaires personnelles, notamment son billet d’entrée. Autant dire qu’ils auront la banane.


Piliers de la maison, Cassandre Lanfranchi et Terence Prout ont choisi le mobilier dans lequel évolueront les équipes et le public. L’enjeu: injecter de l’âme au coeur d’un bâtiment imposant

Meubler un théâtre qui a des allures de château. Quel privilège ! Avoir carte blanche même pour lui donner un cachet. Pour que spectatrices et spectateurs y papillonnent comme à la maison, qu’ils aient envie d’y palabrer après la fantasmagorie du soir. Pour que l’ensemble des équipes s’y sente ailé surtout.

Terence Prout et Cassandre Lanfranchi (photographiée ci-dessus par Nils Ackermann) ont cette obsession depuis deux ans: habiller la Comédie des Eaux-Vives, cette géante qui roule des mécaniques au-dessus de la gare du même nom et qui, chaque matin, hume l’air dans l’espoir de ne plus y sentir les miasmes du COVID-19 et de pouvoir enfin ouvrir ses bras au public.

Unité de style

Créer le décor, donc, une unité de style aussi pour les cinq étages d’un bâtiment qui a du coffre. Un casse-tête, même pour des baladins de l’illusion. Cassandre Lanfranchi et Terence Prout ont du métier pourtant. La première a la haute main sur l’accueil des publics, c’est dire si elle connaît les lois de l’hospitalité. Le second, adjoint au directeur technique, est capable de transformer un clou en épingle à cravate à tête de diamant.

A eux deux, ils allient l’ingéniosité, le goût des matériaux authentiques comme ils disent et un idéal de convivialité. Mieux, ils ont pu compter sur la vista de Clark Elliott, qui conseille les entreprises pour l’organisation de leurs espaces de travail. Des atouts, oui, mais rien ne disait qu’ils suffiraient tant l’usine à fiction des Eaux-Vives en impose, avec sa taille de dirigeable, ses créneaux qui picotent l’éther, ses couloirs à perte de vue où organiser des courses d’orientation. L’enjeu dès lors? Donner une intériorité, c’est-à-dire un esprit et une chaleur, à ce monolithe.

Teintes chaudes

Comme un couple qu’il n’est pas à la ville, Cassandre Lanfranchi et Terence Prout ont  commencé par examiner les plans d’une maison où cohabitent, chaque jour entre 9h et minuit, une centaine de professionnels, techniciens, artistes, couturières, médiateurs et médiatrices etc. Ces travaux d’Hercule, ils les racontent dans une salle au rez-de-chaussée, sur des canapés autrefois en skaï qu’ils ont fait recouvrir de tissu orange. Cette antichambre, dont les verrières donnent sur le couloir, est stratégique: les comédiens y rumineront leurs textes avant d’entrer en scène, à deux bonds d’Arlequin à peine.

On écoute leurs pérégrinations, on imagine leur vertige.  La Comédie, ce n’est pas seulement deux salles, une grande dotée de 498 sièges, une autre plus élastique, modulable à souhait, sans oublier un restaurant – des espaces qui ont déjà leur mobilier. Ce sont aussi un atelier de construction, un autre de couture, l’un et l’autre vastes comme des courts de tennis, des studios techniques où concevoir une bande-son ou une vidéo, des bureaux encore, au dernier étage.

Meubles neufs et durables

«Notre objectif, c’était d’apporter une âme dans un lieu où les lignes sont pures et l’élégance froide, raconte Cassandre Lanfranchi. La Ville a mis à disposition une belle enveloppe budgétaire pour réaliser ce dessein. Elle avait une exigence : qu’on achète des meubles neufs et durables. A partir de cette feuille de route, nous avons écumé des semaines durant magasins et fournisseurs, en quête de chaises pour les loges et les bureaux, de fauteuils, d’armoires pour les locaux techniques, de tables pour la cantine… Pour ces dernières, Terence a eu une idée géniale: il a récupéré les plateaux usés d’un bar et les a fait monter sur des pieds neufs. Cela donne du caractère.»

Le choix des chaises donne lieu à des cogitations dignes d’un conseil de défense au Pentagone, se rappelle Terence Prout. Il fallait qu’elles soient élégantes, ergonomiques, légères, bref, qu’elles contentent tous les séants. Il en allait de l’image de marque de l’institution. «Un matin, nous avons disposé trente-cinq modèles dans le hall de l’ancienne Comédie du boulevard des Philosophes. Nos directeurs, Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer, devaient choisir un modèle destiné aux comédiens, un autre pour les foyers où le public se retrouve. Ils ont fait leur choix en une heure.»

Drôle de drame. Mais il y a plus épineux que le confort de nos fondements. Il y a le langage des couleurs qui au théâtre a son tabou majeur. Parce qu’il porte malheur, le vert est prohibé. Quant au rouge, fût-il romain, il est trop convenu pour être tout à fait honnête. « Comme le blanc et le gris dominent, nous avons privilégié des teintes chaudes, poursuit Cassandre Lanfranchi. Voyez les fauteuils où nous sommes assis. Le tapissier nous a proposé un tissu tuile et nous n’avons pas hésité.»

Choyer le détail, tout est là. La texture, le coloris,  l’harmonie des formes. Sur le sujet, Cassandre et Terence sont intarissables. Vous demandez à voir de plus près. Ils vous entraînent sur les hauteurs, au troisième étage. Un couloir avec des portes en série vous  aspire. On en pousse une. Vous voici dans le saint des saints, là où le comédien s’abstrait du monde, se fond dans la pâte du poète, face au miroir. Un matelas orange sur un lit de repos, des ampoules au garde-à-vous, un siège d’amazone avant la chevauchée : tout invite au rassemblement intérieur.

L’ascension vous grise ? Le cinquième, dédié à l’administration, a des airs de bureau d’architectes, avec ses rangées de tables à hauteur variable, où plastronne une lampe dorée. Leur plateau est en linoléum rosâtre, souffle Terence Prout. «Nous avons choisi cette matière, mélange de toile de jute, d’huile de lin et de bois, pour sa douceur au toucher, pour sa capacité aussi à atténuer les bruits.» Signe d’époque: ces bureaux sont volages, aucun n’étant attribué.

Dans les escaliers, Terence et Cassandre évoquent tout ce qu’il reste à faire. Trouver de nouvelles chaises pour le bar – il en manque encore. Vêtir les murs d’affiches historiques, celles des spectacles qui hantent la Comédie du boulevard des Philosophes. Aménager la bibliothèque. Protéger les artistes dans un édifice où la transparence règne jusqu’à en être intrusive.

Appropriation collective

De retour sur le canapé, là où actrices et acteurs rumineront une dernière fois fois leurs rôles avant d’entrer dans la lice, Terence et Cassandre soulignent que les goûts doivent désormais se mélanger. «Nous passons une partie de notre vie ici, c’est à nous tous d’apporter notre touche, nos idées. C’est comme dans un appartement, on déplace un meuble, on en introduit un autre, tout est ouvert, c’est sans fin et c’est beau pour cette raison.»

L’essentiel, disent-ils encore, c’est qu’on se sente accueilli. Ils brodent: «Un hamac ici, ce serait pas mal, non? Et un jeu de go, qu’en penses-tu? Surtout, ce qu’il faut, c’est un rideau devant les parois vitrées, et pas rouge, s’il te plaît. Bleu, tiens! » Calé dans votre fauteuil, vous vous laissez bercer. Terence et Cassandre savent recevoir.

Co-fondateur du Théâtre du Loup et de la Fanfare du même nom, cet architecte de métier a fait partie de l’Association pour une nouvelle Comédie, à l’origine du théâtre des Eaux-Vives

Sur le quai de la gare de Champel, filmé par notre vidéaste Robin Mir, Sandro Rossetti se sent soudain flagada. C’est que l’émotion est forte au moment de monter dans le train et de traverser en quelques minutes à peine une partie de la ville, pour débarquer à la station des Eaux-Vives, celle qu’il voudrait qu’on renomme «gare de la Comédie.»

Pouvait-il imaginer un tel transport il y a vingt ans? A l’époque, cet architecte de métier, co-fondateur du Théâtre du Loup et de la fanfare du même nom, est de ceux qui appellent à la création d’une nouvelle Comédie, encouragés alors par Anne Bisang, directrice de l’institution. Une partie de la profession vient de créer l’Association pour une nouvelle Comédie (ANC). Il en est tout naturellement.

Comédiens, techniciens, scénographes, metteurs en scène cogitent sur un bâtiment qui ne soit plus un rafiot calfaté de toute part, mais un paquebot aiguisé par tous les vents. Tous réclament un théâtre outillé pour le futur, susceptible de convertir les nouvelles générations à l’ivresse des planches.

L’ANC a su se faire entendre, s’enthousiasme aujourd’hui Sandro Rossetti. Les autorités politiques suivront le mouvement. Un concours d’architecture international sera lancé en janvier 2009. Quelque 88 candidats planchent sur «cette usine à fictions.» Couple dans la vie, fondateurs aussi du bureau FRES, Sara Martin Camara et Laurent Gravier l’emportent.

Douze ans plus tard, la Comédie des Eaux-Vives attend encore le coup de ciseau inaugural – le covid impose son calendrier. Mais elle est déjà cette manufacture espérée par Sandro Rossetti et l’ANC. «Ce théâtre n’est pas le fait d’un prince, mais le fruit du besoin et du désir d’une profession», aime à dire cet amoureux du jazz. Parole de pionnier.

A la billetterie de la Comédie, cette amoureuse du beau geste, photographiée ici par Niels Ackermann, noue avec le public une relation exceptionnelle. Depuis l’automne, elle est aussi chargée de ravitailler les équipes artistiques

Vous lui confieriez la clé de vos songes. Et celle du garde-manger, pour qu’elle le garnisse à sa façon. Martine Bornoz est une ambassadrice hors pair pour la Comédie. A la billetterie depuis onze ans, elle aiguille le chaland, évente le mystère d’un soir juste ce qu’il faut pour exciter la curiosité, monte parfois sur ses grands chevaux, quand elle a aimé de tout son cœur une pièce.

Ce jour glacé, elle vous attend devant l’une des entrées du théâtre des Eaux-Vives, celle réservée aux camions. Est-ce cette lueur dans l’œil? Ou ses bottes de sept lieues? Ou son manteau de chineuse distinguée? Elle vous emporte au premier contact. C’est que Martine apaise. Une grande sœur produit ce même effet.

Cette attention laineuse fait du bien. Depuis l’automne, nos villes ressemblent – malédiction du COVID-19 oblige – à des décors de cinéma désertés en catastrophe par les équipes de production. La Comédie des Eaux-Vives et ses parages n’échappent pas à la sidération ambiante. Pas de spectacles à l’affiche – même si trois se répètent ces jours, histoire de préparer la reprise. Martine Bornoz, elle, n’a jamais été aussi présente.

A l’écoute des brigades des planches

C’est que les équipes ne sauraient se passer d’elle. «Vous prenez un café ?» On vient d’entrer dans la cantine des artistes, haut perchée dans le bâtiment. Elle jette un œil, en connaisseuse, sur les fruits secs et les plaques de chocolat posées en vrac sur une table.

Gourmande? Oui, mais pour le bien des autres. Depuis la fin de l’été, elle est aussi chargée du catering. Comme  jadis la cantinière dans la mêlée des armes, c’est elle qui ravitaille les brigades des planches. Elle tourne en libellule autour d’elles, repère marottes et petits vices, avant de proposer des paniers sur mesure. Sur ce même mode butineur, elle fréquente les puces, à la recherche d’une théière ou d’une vaisselle qui ait du cachet.

Assortir les vestiges de nos existences est un talent. «C’est créatif de concevoir un havre de bien-être, raconte-t-elle. Ces jours, malgré la situation, les comédiennes et comédiens enchaînent les heures, comme des cyclistes du Tour de France dans les cols. Les interprètes de la metteuse en scène Christiane Jatahy travaillent jusqu’à 23h, avec deux pauses de vingt minutes. Ils sont contents de trouver de quoi les revitaliser. Certains m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu ça.»

Martine Bornoz personnalise ses potions magiques. à l’intention des acteurs et actrices. © Niels Ackermann / Lundi13

Des tickets qui ont de l’esprit

Les aficionados de la Comédie, à l’époque où elle régnait sur le boulevard des Philosophes, abonderaient dans ce sens. Eux aussi ont rarement rencontré hôtesse aussi prévenante. «J’adore reconnaître les gens au fil des saisons et nouer avec eux un dialogue au long cours, poursuit celle qui a travaillé comme art-thérapeute auprès d’enfants mutiques. Souvent, ils me demandent un conseil, par exemple si tel spectacle est recommandé pour des ados. Ce que j’apprécie particulièrement, c’est quand ils reviennent vers moi, heureux de leur soirée.»

Les tickets de Martine ont de l’esprit. Il faut dire qu’elle n’a rien d’une bonimenteuse vantant sa marchandise. Dès qu’elle peut, elle assiste aux répétitions, afin de se pénétrer de la matière, de comprendre l’enjeu d’un parti pris esthétique, de se familiariser avec une façon de jouer.

Mais quand elle n’aime pas, alors ? «Je dois avouer, il m’est difficile de respecter le devoir de réserve. Si je connais bien le spectateur, je lui fais part en toute sincérité de mes réserves. Si je ne le connais pas, je m’en tiens à une description objective. La vérité aussi, c’est que je me sens solidaire des équipes. Au boulevard des Philosophes, depuis notre comptoir, on voyait arriver les artistes. Et ça ne manquait jamais : ils nous demandaient s’il y avait du monde.»

Aux Eaux-Vives, sa vie d’entremetteuse changera. La billetterie ne donne pas directement sur l’entrée, ce qui l’empêchera de happer le chaland. A moins qu’elle ne monte au front. Son grain de sel, on le  trouvera au coin librairie. En collaboration avec la dramaturge Arielle Meyer, elle choisira les livres selon les productions. «Comme je vois les répétitions, comme je discute aussi avec les metteurs en scène, j’ai une idée de ce qui les inspire. C’est forte de ces échanges que je constitue notre sélection.»

Martine Bornoz est du genre à bien recevoir, sans chichi, en discrète qui ne laisse rien au hasard. Le goût de la scène remonte chez elle à l’enfance. Avec ses parents, elle ne manquait pas un spectacle du Théâtre Kléber-Méleau, alors dirigé par son fondateur, Philippe Mentha. Le lever de rideau pourpre, le sortilège d’un décor, la gravité d’une voix, le panache d’un geste : l’enchantement opérait toujours.

Adolescente, elle jouissait d’être cigale au Festival d’Avignon. Elle y a vu la légendaire Classe morte de Tadeusz Kantor. Elle ne l’oubliera jamais. De même qu’elle a toujours en tête les harangues sauvages de Bartabas, à l’époque où le Théâtre équestre Zingaro n’était pas encore une institution. Plus tard, elle a emmené ses enfants au Théâtre Am Stram Gram à Genève.

Martine Bornoz prépare des plats légers à déguster entre deux répétitions. © Niels Ackermann / Lundi13

Ces souvenirs, elle les détricote à la bonne franquette. A la maison, raconte-t-elle, elle cuisine en écoutant du jazz sur France Musique. Pendant le premier confinement, elle a fabriqué des masques avec les sacs en tissu estampillés «Comédie». Sa table est fraternelle, à l’évidence. Avec ses amis, elle parle de tout ce qui la porte, des livres en particulier. L’autre jour, elle ne jurait que par Cette chose étrange en moi, de l’auteur turc, Prix Nobel de littérature, Orhan Pamuk. «Je peux tout lire, mais il faut que ça soit bien écrit.»

A cet instant, dans la caf déserte, Martine Bornoz chasse du regard un nuage. Elle est de la tribu des cantinières providentielles, cousine de celle qui secourt Fabrice del Dongo sur le champ de bataille de Waterloo, dans La Chartreuse de Parme de Stendhal. Son talent? Elle partage le nectar de ses vies intérieures.

Photo: Niels Ackermann

Ingrid Moberg et ses quelque 4000 costumes découvrent leur nouvel écrin, vaste comme un court de tennis. Notre vidéaste Robin Mir a suivi ce transfert

Avec sa chevelure de neige, Ingrid Moberg ressemble à une reine de conte, Andersen au hasard. Depuis une dizaine d’années, cette couturière et habilleuse règne sur les ego des comédiens et comédiennes de la maison. Elle taille les costumes de leurs chevauchées, les ajuste à leurs songes, s’arrange toujours pour exaucer leurs vœux.

Ingrid Moberg est un personnage, rauque et lumineux, fidèle et rebelle quand il le faut, taiseuse, croit-on, fileuse de légendes en vérité. Il faut la voir palper un taffetas, s’emballer devant un bustier en plumes, caresser le satin d’un manteau de cour. Si elle ne conçoit pas toujours les costumes d’une production – chaque spectacle a son créateur ou sa créatrice d’habits – elle leur donne vie.

Ces jours, elle fait sa révolution de velours. Elle délaisse l’atelier du boulevard des Philosophes, son repaire,  pour un espace qui est en soi une petite manufacture, baignée de lumière. Son nouveau fief est vaste comme un court de tennis, riche de machines à coudre impatientes de libérer leur musique entêtée. Notre vidéaste Robin Mir a suivi Ingrid Moberg  sur le pont de ses désirs, entre deux mirages de fiction.

La comédienne Marie-Madeleine Pasquier a découvert la nef des Eaux-Vives, entre stupeur et ravissement. Notre vidéaste Robin Mir l’a suivie. Filature rêveuse

Quelle guide mutine elle fait, Marie-Madeleine Pasquier ! Début octobre, la comédienne fribourgeoise accueillait le public dans le hall de l’ancienne Comédie, boulevard des Philosophes.

Juchée sur une chaise, elle annonçait une soirée endiablée : une version en espagnol de «La Cerisaie» de Tchekhov aurait bien lieu, mais il fallait prendre garde aux punaises qui avaient infesté le théâtre. Les visiteurs étaient alors invités à suivre ses camarades dans les dédales de la maison, en quête de fantômes fréquentables.

«Où est ma maison ?», tel était le titre de cette balade spirituelle. Marie-Madeleine Pasquier a poursuivi pour «Le Temps de la Comédie» ses pérégrinations. A notre demande, cette interprète qui s’enracine pour mieux toucher au ciel a déambulé au milieu des ouvriers, entre loges, foyer et plateau immense donnant, comme un pont de navire, sur l’océan de nos désirs. Notre vidéaste Robin Mir n’a pas perdu une virgule de son ravissement.

Se balader dans le théâtre des Eaux-Vives comme s’il était déjà ouvert, c’est ce que permet le chorégraphe Gilles Jobin jusqu’au 12 décembre. Rencontre avec le jeune homme qui a conçu cette immersion bluffante

Il ouvre la porte à l’instant. Sourire large, Tristan Siodlak est chez lui dans le studio de Gilles Jobin, à dix pas chassés du Rhône à Genève. Avec sa chemise en jean et ses tatouages, il se distingue. Un artiste, se dit-on. Il l’est à sa façon. Tristan Siodlak exerce un métier peu connu du grand public, celui de Lead Artist Design 3D. Sa prouesse? C’est lui qui a modélisé la nouvelle Comédie en trois dimensions pour l’installation imaginée par le chorégraphe Gilles Jobin. Grâce à la VR [ndlr : Virtual Reality/Réalité Virtuelle], le public plonge dans les entrailles de ce futur théâtre et y déambule – presque – à sa guise.

La balade est bluffante. Elle a nécessité un an de travail, raconte le jeune homme autour d’un café, dans la cuisine du studio. Et de dévoiler les dessous d’une entreprise titanesque.

Le Temps de la Comédie: Pour le projet «La Comédie virtuelle», vous occupez la fonction de Lead 3D Artist [ndlr : chef-artiste 3D/chef-graphiste 3D] pour la Cie Gilles Jobin. Depuis combien de temps travaillez-vous dans le milieu de l’infographie et de la modélisation tridimensionnelle ?
Tristan Siodlak: Je travaille dans le milieu depuis environ six ans.
J’ai débuté avec le statut d’infographiste, puis je suis passé à celui de 3D Artist. Désormais, avec la Cie Gilles Jobin, j’occupe la fonction de Lead 3D Artist.

Vous avez commencé votre parcours par un bachelor en infographie à l’Ecole Bellecour de Lyon. Ensuite, vous avez travaillé pour une entreprise genevoise de jeux vidéo. Dès lors, comment êtes-vous arrivé au sein de la Cie Gilles Jobin ?
C’est parce que j’ai été engagé par une entreprise active dans les domaines de la communication, de l’horlogerie, du cinéma d’animation et des jeux vidéo que j’ai débarqué à Genève. A l’époque où je travaillais pour cette société, j’étais à la recherche d’autres projets. En 2017, j’ai été embauché par la Cie Gilles Jobin pour sa création VR_I. Suite à cela, j’ai enchaîné avec Artanim avant de revenir auprès de Gilles Jobin, avec qui j’ai travaillé sur d’autres projets tels que Magic Window (2019), Real Time (2020) et La Comédie virtuelle (2020).

Vous travaillez plutôt dans le domaine des jeux vidéo, une chose que l’on ne voit pas forcément au théâtre. A priori, vous êtes donc plutôt éloigné de l’art dramatique. Quels sont vos liens avec la scène ?
A la base, je n’ai pas tellement de liens avec le théâtre ou la danse, si ce n’est que j’aimais bien ces arts quand j’étais jeune. Ici, j’ai tout de même dû me documenter pour pouvoir travailler. A force d’exercer dans ce milieu et de voir des spectacles, mon regard sur les arts de la scène, ainsi que ma manière de travailler, ont changé. Lorsque l’on travaille sur des moteurs temps réel, cela nécessite d’avoir des notions qui sont plus proches des jeux vidéo que du film d’animation. Avec La Comédie virtuelle, nous sommes clairement dans cette logique: le spectateur se balade avec un casque de réalité virtuelle et interagit avec son environnement.

Devez-vous donc coder au fur et à mesure ?
Je ne m’occupe pas du codage, parce que cette partie ne fait pas partie de mon métier. Les métiers d’infographiste 3D, d’Artist 3D, ainsi que Lead Artist 3D, sont des fonctions qui sont toujours axées sur la création de contenus numériques. Pour les créer, je dessine ou sculpte des éléments, par exemple. Cette manière de travailler s’apparente davantage à l’artisanat qu’à la programmation. Je m’occupe principalement de la partie esthétique et visuelle de nos créations.

Pour modéliser la nouvelle Comédie, avez-vous eu accès au chantier?
Je me suis basé sur les plans en deux dimensions que j’avais reçus de la part des architectes de la nouvelle Comédie. J’ai donc passé pas mal de temps à comprendre quelles étaient les pièces la composant, parce qu’évidemment je n’avais pas encore vu le bâtiment en vrai. J’avais néanmoins pu examiner des maquettes que les architectes avaient réalisées, mais celles-ci étaient des prototypes… Il m’a fallu du temps pour comprendre comment était construit le bâtiment et comment j’allais le découper. Au cours de ce processus, j’ai modélisé tous les murs et toutes les pièces composant la nouvelle Comédie, avant de pouvoir procéder à un choix sur les pièces à supprimer.

Qu’est-ce qui a été supprimé dans le théâtre auquel a accès le spectateur dans «La Comédie virtuelle»?
Pour comprendre ce point, il est important de souligner que nous utilisons un moteur temps réel pour La Comédie virtuelle. Cela signifie que tout ce que l’on voit est calculé en temps réel sur la machine, contrairement à ce qui se passe pour des films par exemple. Pour faire simple, lorsque l’on utilise un moteur en temps réel, il faut mener une réflexion sur les objets
et les choses que l’on modélisera et s’interroger sur la nécessité de leur présence. Si on modélise un élément, c’est qu’il est nécessaire. Sinon, cela risque d’être problématique et d’entraîner des complications pour les utilisateurs: le programme peut ne pas marcher sur certains ordinateurs ou être trop gourmand en ressources. En résumé, toutes les réalisations graphiques occupent de la mémoire, raison pour laquelle nous n’allons montrer que les éléments auxquels le spectateur a accès.

Pouvez-vous nous donner un exemple ? Et nous expliquer comment se déroule le processus de modélisation?
Bien sûr ! Si j’ai modélisé des toilettes à un endroit et que je décide que cela ne sert à rien d’y donner accès, je les supprimerai pour ne pas charger la modélisation avec des éléments qui ne seront pas utilisés, accessibles ou visibles. La modélisation demande un travail en plusieurs étapes. D’abord, il est nécessaire de bien comprendre l’environnement que l’on modélise. Ensuite, il faut s’interroger sur les pièces auxquelles le public aura accès. A partir de là, il faut commencer à faire des blocs qui seront chargés au fur et à mesure. En effet, le bâtiment de la nouvelle Comédie est énorme et on ne peut le charger dans son intégralité en un seul coup.

C’est la raison pour laquelle on n’a pas accès à toutes les pièces?
Il y a effectivement ce problème posé par le chargement, ce qui fait que nous avons dû supprimer les accès à certaines pièces. Mais il y a également un problème posé par la navigation. Pour ce projet, nous souhaitions donner au public un accès public et un accès backstage. Dans La Comédie virtuelle, l’accès public est assez fluide. En revanche, l’accès backstage pose problème: beaucoup d’éléments tels que les ascenseurs et les
interactions demandent une logique plus vidéoludique et plus gourmande en ressources telles que la mémoire graphique. Notre objectif était de réaliser une interface simple pour que le public, qui n’est pas familier avec l’univers des jeux vidéo ou les nouvelles technologies, puisse en comprendre le fonctionnement et se mouvoir facilement. Par la suite, une fois que nous aurons résolu cette problématique d’utilisateur, nous ouvrirons ces salles qui ont déjà été modélisées au public.

Au cours de la balade, on croise des donuts et des mannequins qui dansent, des gros nounours et d’autres créatures étranges. Il semblerait que vous vous soyez bien amusé…. Combien de temps ce projet vous a-t-il pris ?
J’ai commencé en septembre 2019. Cette création m’a donc occupé environ une année. Notez que j’ai été épaulé par deux personnes pendant environ trois mois et demi. Concernant les personnages, l’idée a germé en cours de route. Nous avons commencé cette modélisation en créant les salles, les murs et la structure. Mais, très rapidement, nous nous sommes rendus compte que cela pouvait donner l’impression d’une « visite d’architecte ». Ce qui n’était pas du tout notre objectif ! Nous souhaitions créer un endroit où il y ait de la vie. Nous avons alors décidé de modéliser différents types de personnages venus d’horizons multiples (des nounours, des aliens, des danseurs, des donuts…).

Ces personnages sont singuliers. Ils sont bien là mais le public ne peut pas interagir avec eux. Pourquoi?
Comme nous sommes dans un univers numérique, il n’y a pas vraiment de règles. En fait, c’est nous qui choisissons quelles règles nous souhaitons nous fixer et appliquer. La particularité de ces personnages est que le public n’interagit pas avec eux, puisqu’ils ne viennent pas de notre monde et suivent leurs propres règles. Cette absence d’interaction entre
le public et les personnages permet que notre invention fonctionne.

Vous poussez très loin le souci du détail. Les ombres des objets ou des avatars ont été modélisées, les horloges à l’intérieur du théâtre virtuel indiquent la même heure que celles de notre réalité. C’est méticuleux.
Lorsque l’on modélise un espace en trois dimensions, il ne faut pas oublier la logique des traces de vie. Autrement dit, pour que l’espace paraisse crédible, il faut toujours modéliser des détails ou des objets qui suggèrent l’existence du lieu. A titre d’exemple, si je souhaite modéliser cette pièce où nous sommes actuellement, je commencerai par faire les murs, créer la texture des murs, le sol, placer des portes, et ainsi de suite. Pour ce qui est des murs, je rajouterai peut-être une prise électrique. Même si le public n’a aucune interaction avec elle, il la verra. Il faut qu’on croie au lieu! Quand il circule dans la Comédie virtuelle, le public découvre des sacs, des chaises, autant d’accessoires disséminés qui rendent le lieu vraisemblable.


Modélisez-vous tous les éléments dans vos créations ?

Dans l’absolu, j’aimerais être capable de modéliser tous les éléments, mais je n’ai hélas pas le temps. Il s’agit donc de choisir ce qui est nécessaire pour rendre l’espace crédible et vivant. Il faut être conscient qu’avec le numérique, on peut tout faire. C’est aux créateurs de faire des choix.

Propos recueillis par Ivan Garcia