Anne Davier: «Prendre les clés malgré tout, sans fête, sans public, mais avec joie»

Alors que les équipes de la Comédie étrennent leurs nouveaux murs, Anne Davier et sa bande ont reçu les clés du Pavillon de la danse

En octobre dernier, la Ville de Genève a donné officiellement les clés du Pavillon de la danse à l’Association pour la danse contemporaine – ADC. Nous étions peu nombreux dans la grande salle du Pavillon, place Sturm. Le plancher de danse n’était pas encore posé, le chantier n’était pas tout à fait terminé. Les clés étaient fausses –, attachées à un long cordon vert, elles semblaient sortir d’un conte de Perrault. La vraie clé, celle qui ouvre la porte du Pavillon côté Eglise russe, nous l’avons reçue le 21 décembre. Quand nous déménagerons en février, nous recevrons des dizaines de badges pour ouvrir les quelques 70 portes encodées du Pavillon.

Prendre les clés malgré tout, sans fête, sans public, mais avec joie !

Les endomorphines de l’endurance

La lenteur de ce projet a dilaté le temps – comme la gestation de la Comédie des Eaux-Vives, dont l’origine remonte au rapport de Mathias Langhoff en 1988. Nous avons vieilli depuis ses prémisses – pour ma part, je m’y suis attelée de mes 30 à mes 50 ans. Quelque chose d’intéressant s’est infiltré, engrammé dans la structure du corps et de l’esprit, quelque chose de calme et de passionné, permettant aux pieds, aux mains, à la tête de nous faire avancer avec un élan à peine conscient, animal. Comme lors d’une course d’endurance, la libération d’endomorphines et ses déferlantes (vitalité, enthousiasme, ivresse) nous a soutenus, et avec elle la conviction tranquille d’aboutir quelque part.

Une histoire d’amitié

Nos liens de travail et d’amitié se sont aussi renforcés. Pour faire court, il y a entre nous une forme de solidarité souvent implicite et transmise parfois par autre chose que les paroles. Marc Gaillard, le tout premier directeur technique de l’ADC, était un premier de cordée : en homme généreux, il a amorcé le programme du Pavillon en se projetant dans un espace complexe mais pratique, en se souciant du bien-être de chacun de ses occupants : artistes, techniciens, livreurs, chargés d’entretien, spectateur, costumier, barman… Le théâtre est un lieu de vie, disait-il, chacun doit s’y sentir comme chez soi.

Alexandre Forissier, ingénieur scénographe, a pris le relais en redimensionnant les espaces rêvés par Marc. Sur la parcelle modeste de la place Sturm, il a imaginé un théâtre cohérent et défini son identité, en proposant une scène-salle conçue comme un espace unique, avec ou sans gradin, totalement homogène avec un plancher adapté pour la danse.

Noemi Lapzeson, marraine secrète

Enfoui sous ce plancher, il y a un petit coffret en bois dans lequel ont été déposés des biens précieux. Entre autres, trois cailloux blancs. Ces cailloux ornaient le rebord de la fenêtre de l’appartement de Noemi Lapzeson, chorégraphe aujourd’hui disparue. Si Noemi ne s’intéressait pas tellement au Pavillon (il ne sera pas pour moi, disait-elle), elle se préoccupait de l’ADC qu’elle a fait naître en 1986 et qu’elle a vu grandir. Et parce que nous nous déplaçons aujourd’hui au Pavillon, les trois cailloux blancs de Noemi y sont aussi.

Juste avant Noël, en traversant cet espace extraordinairement large, long et haut, j’ai pensé à notre espace intérieur, celui de nos corps, de nos imaginaires, au regard qui touche, aux mouvements que nous pourrons inventer pour vivre bien, sauter, tourner et célébrer notre humanité.

Anne Davier, directrice de l’Association pour la danse contemporaine.

Photo: Nathan Bugniet