Maria Pérez: «La Ville ne peut pas porter seule la nouvelle Comédie»

Figure ardente du Parti du travail, la comédienne genevoise Maria Pérez se réjouit de la naissance d’un théâtre répondant à la demande du public et des professionnels. Mais la candidate au Conseil administratif  tire aussi la sonnette d’alarme

Un théâtre pour raconter le monde. Un théâtre pour bâtir des utopies et traverser les frontières. Une invitation au voyage. La nouvelle Comédie et le Léman Express nous annoncent en chœur que nous sommes à l’aube d’une révolution de la culture genevoise et de la mobilité. La nouvelle gare reliant Genève à sa région frontalière porte la promesse bienvenue de désengorger les rues genevoises de la voiture et est l’indispensable outil d’un renforcement des liens de la région franco-valdo-genevoise.

Le nouvel instrument auquel ont travaillé sans relâche une génération de professionnels et de techniciens du théâtre dit institutionnel, ce théâtre emblématique du XXIe siècle, va bientôt ouvrir ses portes et faire battre le cœur des Eaux-Vives un peu différemment, forcément. Les attentes sont grandes autour de cet outil permettant de produire et d’accueillir tous les formats de spectacles, et d’abriter tous les savoir-faire de la scène dans une seule maison.

Détériorations des conditions de travail

La nouvelle Comédie doit évidemment être dotée des moyens financiers des ambitions qu’elle porte pour pouvoir rayonner. Cependant la Ville ne parviendra pas toute seule à supporter la facture du fonctionnement de ce bateau-amiral sans péjorer le fonctionnement des autres institutions et le travail des compagnies, ou alors seulement au prix que paient aujourd’hui déjà les travailleurs de la culture, à savoir la lente détérioration de leurs conditions de travail depuis une décennie.

Par exemple, depuis 20 ans, les temps de répétition de la plupart des spectacles se sont progressivement raccourcis passant de sept-huit semaines à cinq, puis quatre, puis enfin parfois à quinze jours de répétitions. On compresse le temps et les salaires pour que le spectacle continue. Produire des spectacles en deux semaines est même devenu un concept de production institutionnalisé.

Des acteurs qui jonglent avec leurs indemnités chômage

Dans le off, les budgets sont largement insuffisants, les compagnies sont obligées de « racler » sur le budget du décor, celui de la costumière ou le budget des éclairages quand on ne fait pas disparaître carrément ces postes, et quand on est acteur il n’est pas rare de jongler avec les indemnités du chômage pour pouvoir boucler la production. La culture est l’un des rares secteurs où l’on s’appuie sur la passion des travailleuses et des travailleurs pour faire fonctionner cette économie à moindre coût et offrir du rêve au spectateur.

Union sacrée entre canton, Ville et communes

Il est nécessaire de revoir des budgets culturels qui stagnent ou profitent prioritairement aux grandes institutions. Genève doit avoir l’ambition de préserver la richesse et la diversité des talents qu’elle abrite. Genève a plusieurs cœurs et pour qu’ils continuent tous à battre, la Ville, le Canton et les 44 autres communes doivent joindre leurs forces. Parce que nous devons nous méfier de l’hégémonie, de l’uniformisation du discours esthétique et artistique, parce que la contradiction et la mise en doute sont propres à la recherche artistique, nous devons nous réjouir de la multiplicité de scènes genevoises et cultiver les friches d’où émergeront les talents de demain. Pour les aider à développer une identité forte, il faut aussi un équilibrage des moyens donnés à chacun et le souci de ne pas développer une politique culturelle dont jouiraient seulement les spectateurs, mais qui se ferait sur le dos de ceux qui la fabriquent. Ce dont je parle, c’est d’un voyage où personne ne sera laissé à quai.