Christina Kitsos: «La Comédie, le quai des âmes»

Chargée des affaires migratoires au Département de l’instruction publique, la socialiste brigue un siège au Conseil administratif. Elle rêve d’idylle entre la gare et le théâtre. Parole d’une passionnée

Il y a dans chaque gare des âmes qui s’entrecroisent, des temporalités différentes qui se conjuguent, des perceptions inattendues qui se forgent, des attentes qui n’en finissent pas. On pourrait rester pensive comme dans un espace suspendu, être spectatrice, se raconter une histoire sur ces vies qui défilent. On pourrait aussi décider d’accélérer son pas, zigzaguer entre les personnes pour bondir dans le train. On pourrait finalement s’arrêter sur le quai, échanger sur le temps qu’il fait et d’autres banalités pour passer à côté de sa vie. C’est tout l’art du mouvement des corps et des esprits, enfermés dans des frontières mentales et physiques, contraints à la gravité, qui, à un instant précis, tentent de se libérer. Cette émancipation, on peut la ressentir dans une gare pour autant que l’on y porte un regard poétique ou philosophique, mais on la réalise surtout lorsque les rideaux se lèvent, dans l’obscurité de la salle de théâtre.

«Nous voilà devenus le choeur de la tragédie»

La metteure en scène et cinéaste brésilienne Christiane Jatahy est devant nous. Elle nous raconte d’où elle vient. C’est le début de son spectacle «Le Présent qui déborde» (à l’affiche de la Comédie, du 17 au 22 mars, ndlr.), où nous rencontrons, par le biais d’un film, des Ulysse, des Pénélope, des Télémaque et des Nausicaa, des femmes et des hommes qui ont dû fuir leur pays, qui vivent dans un entre-deux où le passé n’existe plus et où l’avenir ne se construit pas. Elle nous emmène auprès de populations indigènes qui luttent pour leur survie comme au Brésil, au sein de lieux de transit et de camps de réfugiés en Palestine, au Liban, en Grèce, en Afrique du Sud. On se retrouve pris dans l’intrication des allers-retours, des impossibles retours, des morts qui sont notre mémoire, de cette Ithaque qu’on ne retrouvera jamais. Nous voilà devenus le chœur de la tragédie. Nous consentons à cette métamorphose, en interaction avec la scène.

«La Ville et l’Etat devront cofinancer cette institution»

La fiction a ce pouvoir de faire surgir la réalité. Le théâtre de nous faire franchir les frontières, d’ouvrir des brèches là où des murs se dressaient, d’apporter du sens, de nous réconcilier avec l’humanité. De la scène des Philosophes aux Eaux-Vives, la Comédie pourra se nourrir à la fois de son héritage et prendre son envol grâce à une scène et des ateliers qui répondent aux besoins du théâtre d’aujourd’hui. La programmation, qui fera la part belle aux textes et aux formes nouvelles, permettra de voir des grands noms de la scène internationale actuelle, les talents confirmés de Suisse romande sans oublier de dénicher les talents futurs, de leur permettre d’irriguer l’institution de toute leur jeunesse. En tant qu’employeur responsable et attentif, par exemple, aux nombres de représentations des créations, la maison aura un rôle moteur pour toute la profession. Elle devra avoir les moyens de ses ambitions. Pour cela, la Ville et l’Etat devront s’accorder pour co-financer cette institution portée par Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer et pour renforcer l’accès au théâtre et à la culture au sens large pour toutes et tous. Nous devons plus que jamais soutenir la culture; elle est l’alliée d’une démocratie capable de remises en question fondamentales. Elle seule permet de reconstruire des liens, d’interroger les identités, d’élever la réflexion d’une société.

Christina Kitsos