Annemasse-Genève, une nouvelle alliance culturelle

A dix minutes de la petite ville-frontière, la future Comédie promet des collaborations inédites avec les acteurs culturels français. Symbole: les festivités prévues pour l’inauguration du CEVA en avril 2020. Par Emilie Mathys

Ce n’est pas une, mais deux institutions qui ont été choisies par l’assemblée des communes genevoises et le pôle métropolitain français pour l’inauguration du CEVA, ce RER franco-genevois qui partira de Cornavin et reliera le quartier suisse des Eaux-Vives à  Annemasse en moins de 10 minutes. La cérémonie se tiendra en avril 2020.

D’un côté, la nouvelle Comédie, qui s’installera à deux petits pas de la gare des Eaux-Vives courant 2020. De l’autre, Château-Rouge, un centre culturel subventionné proposant du théâtre, de la danse et de la musique. Un pilier de la culture à Annemasse. Les deux institutions phares s’attelleront ainsi conjointement à l’élaboration de la programmation artistique qui rythmera la cérémonie d’inauguration de la mise en service du Léman Express.

«Ce choix est un signal fort pour le public» se réjouit la direction de la Comédie. Frédéric Tovany, à la tête de Château Rouge, ne cache pas non plus son enthousiasme: «Etant voisins, nous avons certes des envies communes, mais nous nous construisons dans la complémentarité. Château Rouge s’inscrit dans une logique de diffusion, tandis que la Comédie se destine davantage à la production et la création.»

S’il est encore trop tôt pour savoir comment s’articulera cette programmation à deux têtes, l’idée a été avancée de proposer des performances dans plusieurs gares des deux côtés de la frontière. Avec, comme trait d’union le CEVA, qui permettra au public de se déplacer aisément d’un point à un autre d’une manifestation «festive et populaire», selon les mots de Frédéric Tovany.

Annemasse: 6 millions d’euros pour la culture

«La culture est, contrairement à d’autres domaines dans lesquels les relations restent parfois tendues, un territoire dans lequel les échanges avec Genève ne cessent de se renforcer», souligne Nabil Louaar, maire-adjoint à la culture de la Ville d’Annemasse. Souvent ignorée, parfois méprisée par les Genevois – on se souvient de la campagne de l’UDC qui avait fait scandale en 2009, appelant au rejet du CEVA accusé de d’être «un nouveau moyen de transport pour la racaille d’Annemasse» – la cité haut-savoyarde accorde une place prépondérante à l’art et la culture, qui représente 12% du budget de la Ville, soit près de 6 millions d’euros.

En plus des associations, Annemasse dispose en effet de quatre piliers culturels: la bibliothèque, le Conservatoire, le Centre d’art contemporain (qui collabore régulièrement avec la HEAD de Genève) et Château Rouge. Preuve de cet investissement dans la culture: le centre artistique entame des travaux de rénovation d’une durée de deux ans de sa grande salle, à hauteur de 11 millions d’euros.

Existe-il une crainte chez les Annemassiens que le CEVA soit générateur de concurrence? «Au contraire, Genève propose une formidable offre artistique qui profite également à Annemasse. Des partenariats transfrontaliers existent déjà et nous espérons intensifier ces derniers dans le futur», précise Nabil Louaar.

Ici aussi, il est avant tout question de complémentarité. Entre des spécificités territoriales, un rayonnement à l’international de Genève et des budgets au poids inégal, Annemasse fait figure de petite sœur. Un point commun cependant: des croissances démographiques galopantes des deux côtés de la frontière. Et par conséquent, un public en constante rotation, à séduire sans relâche.

La fin des frontières

Car le Léman Express, c’est aussi l’occasion pour les spectateurs genevois d’aller découvrir, peut-être timidement au début, ce qui se joue chez nos voisins. «C’est une chance énorme d’avoir une offre artistique aussi étendue qui dépasse les frontières, insiste Natacha Koutchoumov, co-directrice de La Comédie. L’art permet d’aller au-delà des limites géographiques et de se distancer des clichés.»

Créer de l’art pour susciter du lien, c’est aussi dans cette optique que travaille le chorégraphe Nicolas Cantillon de la Compagnie 7273, approchée pour prendre part à l’inauguration de 2020. «Cette idée de train transfrontalier est un concept en soi autour duquel nous pouvons bâtir une identité commune. C’est un mouvement continu qui ne s’arrête plus à la frontière. Un prolongement des matières artistiques», explique celui qui se produit autant en Suisse que dans l’Hexagone.

Le collectif «Les Trois points de suspension» basé à St-Julien-en-Genevois, également pressenti pour la future cérémonie, s’interroge depuis longtemps sur le Grand Genève: «Les lieux et les territoires sont vus comme des jeux. On utilise les règles et les frontières d’un espace pour façonner des récits.»  Déjà présente lors de l’inauguration de la pose de la première pierre du chantier de la gare des Eaux-Vives en juin 2017, la compagnie prévoit pour la manifestation d’avril 2020 de créer des performances autour du concept de bains publics, dont les Genevois étaient friands au début du XXème siècle.

Frontières administratives ou frontières géographiques, le CEVA se positionne comme un lien symbolique pour les surmonter. Tandis que certains déplorent «un manque de communication sur le rayonnement culturel du Grand Genève», d’autres proposent d’y remédier en proposant, pourquoi pas, une politique tarifaire commune, selon une suggestion du directeur de Château Rouge. Là encore, un signal fort.

Emilie Mathys