Le Théâtre du Jura expliqué aux Genevois

Vue du Jura, la future Comédie fait rêver. Mais les Jurassiens jouiront eux aussi d’un nouveau théâtre, dès septembre 2021.  Cheffe de l’Office de la culture du canton du Jura, Christine Salvadé retrace sa genèse turbulente

 

Du Jura, nous lorgnions sur le chantier de la nouvelle Comédie de Genève comme nous observerions une amie enceinte dont l’accouchement serait programmé quelques mois plus tôt. « Tu as vu ? Ils ont engagé la direction plus de deux ans avant l’ouverture… » « Dis donc, ils ont osé un tandem… risqué ! » Le Théâtre du Jura, qui sera la première infrastructure professionnelle pour les arts de la scène dans le nouveau canton, ouvrira, lui, en septembre 2021 – pour autant que les fées restent penchées sur le berceau jusqu’à terme. La Comédie de Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer aura alors bouclé sa première saison.

Bien sûr, elle est enviée, l’aînée genevoise : son personnel sera huit fois et demi plus nombreux qu’à Delémont, on y donnera sept fois plus de représentations durant la saison, la scène principale disposera d’un grand plateau de 445 mètres carrés – 144 mètres carrés à Delémont – et l’institution fonctionnera avec un budget annuel cinq à six fois plus élevé que celui que les Jurassiens espèrent.

Mais les deux théâtres répondent à des besoins différents. Si la Comédie des Eaux-Vives aura comme première mission de remplacer la comédie du Boulevard des Philosophes, le Théâtre du Jura naîtra dans un paysage culturel régional qui s’est affirmé, ces cinquante dernières années, sans structure professionnelle. La création d’un centre d’expression artistique fait partie des aspirations fondamentales des Jurassiens depuis la fin des années 60. Mais ce rêve a rencontré à peu près autant d’obstacles que celui de la nouvelle Comédie.

Le nouveau théâtre, vecteur d’une expansion

La blessure la plus importante a peut-être été le retrait du canton de Berne, en 2010, d’un projet qui se voulait commun à l’ensemble du Jura historique, en miroir logique des pratiques des acteurs culturels et du public de la région. Loin d’abandonner, le canton du Jura et la ville de Delémont ont alors imaginé un projet intégré à un complexe immobilier comportant logements, parking et surfaces commerciales et financé conjointement par des entreprises privées. Si la Comédie s’adosse au développement du quartier des Eaux-Vives, le Théâtre du Jura s’inscrit dans une volonté d’expansion de la capitale jurassienne : que l’on soit à un bout ou à l’autre de la Suisse romande, les projets culturels semblent désormais indissociables des réflexions démographiques, urbanistiques et économiques.

Des artistes de la scène conquérants

Depuis la conception du bébé jurassien et durant sa longue gestation, les arts de la scène se sont considérablement développés dans le Jura. Une programmation théâtrale alléchante, variée et de qualité est assurée par les centres culturels des districts jurassiens, dans des lieux historiques comme le Forum Saint-Georges à Delémont, le Café du Soleil à Saignelégier et, depuis peu, l’Inter à Porrentruy. Des saisons ambitieuses portées par des associations culturelles sont égrenées dans des salles communales aménagées, comme dans le village de Vicques près de Delémont.

Un pôle de production jurassien

Le Théâtre du Jura vise la complémentarité en se positionnant comme un lieu où la production de créations jurassiennes sera enfin possible dans un canton qui voit ses comédiens et ses metteurs en scène s’exporter vers d’autres plateaux mieux équipés, avec le seul espoir qu’ils reviennent un jour jouer au bercail à la faveur d’une tournée.

Le nouveau théâtre permettra également d’accueillir des spectacles volumineux et plus difficilement rentables dans les salles actuelles à la jauge plus réduite que les 450 places du futur théâtre. En intégrant la fondation Cours de Miracles, fondée à l’occasion d’Expo.02, il développera également des programmes de médiation destinés à faire connaître plus largement les arts de la scène. Car, comme à Genève et à son échelle, la recherche de nouveaux publics est cruciale dans le Jura.

L’urgence est moins chez les jeunes qui investissent les salles avec un appétit étonnant, peut-être parce qu’ils sont nombreux à avoir bénéficié de cours de théâtre à l’école obligatoire ou au Lycée cantonal de Porrentruy, qui offre une option gymnasiale en théâtre encore unique en Suisse. L’urgence est davantage auprès d’un public local qui ne se sent pas toujours concerné par la programmation des scènes. Ou encore auprès d’un public alémanique, géographiquement et culturellement très proche, désireux d’assister aux spectacles francophones. Sans parler du défi transfrontalier, saisi par le canton du Jura dès sa naissance, il y a quarante ans. Car, toute proportion gardée, il en va sur la ligne du CEVA comme sur la nouvelle liaison ferroviaire Delémont-Porrentruy-Belfort : sans collaboration, point de salut.

Christine Salvadé, cheffe de l’Office de la culture du canton du Jura.