La réponse de notre quiz 8:”Mademoiselle Julie” d’August Strindberg

A l’automne 1988, Laurence Calame incarnait une Mademoiselle Julie intrépide comme une chatte sur un toit brûlant, face à un François Chattot roublard tel le braconnier. Matthias Langhoff signait ce spectacle qui a fait date

Deux fabuleuses performances d’acteurs, magnifiques dans la culture sado-masochiste d’une tension portée à son paroxysme. Elle, subtilement cruelle, « distille son fiel et fait passer mille nuances dans un visage mobile, qui marque le moindre coup » ; lui « riposte avec une force massive et contenue ». La mise en scène claire, accomplie, cloître le couple dans une cuisine blanche impeccablement stylisée, où s’insinue l’écho des flonflons de la Saint-Jean. Le succès est tel que des représentations supplémentaires sont agendées dans la foulée.

On est au printemps 1975, Catherine Eger et Jean-Luc Bideau marquent de leur empreinte âprement passionnée la tragédie de Strindberg.

Treize ans plus tard, en plein psychodrame du départ de Benno Besson. Le milieu théâtral bruisse de rumeurs se délectant de l’arrivée de Matthias Langhoff à la tête de l’institution genevoise. Mais la déflagration que produit son rapport inattendu ensevelit les espoirs les plus fous. Nommé au Centre Dramatique de Lausanne quelques mois après l’épisode malheureux de la Comédie, le metteur en scène allemand se consacre à sa future tâche directoriale et refuse toutes les propositions. Excepté celle de son ami Besson.

Ce sera Mademoiselle Julie. Un triomphe à Genève, Londres et Paris, suivi d’une tournée européenne. Plus de cent dates. Laurence Calame, François Chattot et Martine Schambacher partout acclamés. Une scénographie radicale pour une mise en scène poétique. Jeune, Matthias Langhoff se rêvait décorateur – une aspiration brutalement contrariée par Heinrich Kilger, le maître scénographe du Deutsches Theater de Berlin dans les années 1950. Il en restera une méthode de travail particulière, démarche intellectuelle qui tire son énergie et son plaisir d’une créativité manuelle jamais figée.

On est à l’automne 1988. Le spectacle fera date. Une légende.

Trente ans plus tard, à l’aube d’une nouvelle page de l’histoire. Depuis Benno Besson et son Oiseau vert, le spectacle inaugural est l’acte fondateur qui suppose le coup de maître. Le duo Natacha Koutchoumov-Denis Maillefer choisit de produire Julie’s Party: l’expérience fragmente la pièce originale du dramaturge suédois en six propositions contemporaines, autant de versions signées d’un metteur en scène différent, disséminées dans le bâtiment devenu laboratoire du boulevard des Philosophes.

On jouit de la fin de l’été 2018. En cuisine, dans les loges du deuxième étage, à l’atelier des costumes, des avatars de Julie, Jean et Kristin titillent, piquent, sirotent « un verre de sauvignon, minéral et fruité ». C’est aussi ça, le théâtre.

Alors, oui, Mademoiselle Julie réussit à la Comédie.

Camille Bozonnet, curatrice de l’exposition “(Re)visiter la Comédie”

 

Photo 1: ©Walter Reimann
Photo 2: ©Daniel Cande
Photo 3 : ©Magali Dougados
Citation: Daniel Jeannet, Journal de Genève, 16.04.1975