La réponse de notre quiz 3: «4.48 Psychose» de Sarah Kane

Au mois de décembre 2002, Isabelle Huppert entraînait le public de la Comédie aux confins de la folie. Eblouissante sur sa jetée, elle libérait la parole de l’autrice britannique suicidée en 1999, à 28 ans

Beaucoup d’entre vous ont identifié 4.48 Psychose traversé comme en état second par Isabelle Huppert et le comédien Gérard Watkins, dirigés par Claude Régy, ce scaphandrier de la psyché.

Je me souviens de ce 3 décembre 2002. La Comédie était une ruche. J’avais pour ma part déjà assisté à cette confession à tombeau ouvert, quelques semaines auparavant à Caen. Isabelle Huppert disait, magnétique sur sa jetée, comme sur le point de passer à la chaise électrique, les mots de la jeune autrice britannique Sarah Kane.

Je la revoyais donc et j’étais saisi, comme la première fois, captif de cette logorrhée blanche en apparence, exercice insensé de maîtrise quand tout menace de s’effondrer en soi. Je savais que Sarah Kane s’était suicidée à l’âge de 28 ans, en 1999. Et ce geste était comme l’ultime et terrifiante preuve de vérité de ce texte.

Sarah Kane était tout entière dans cette description clinique d’un détachement – de soi, du rivage des hommes. Comment ne pas y entendre aussi une prière d’amour acérée comme le scalpel, adressée en l’occurrence à son médecin?

Le lendemain de la première genevoise de 4.48 Psychose, j’avais rendez-vous avec la comédienne dans un salon de l’hôtel de la Paix, un palace à l’ancienne sur les quais. Je lui demandais quel était son pare-feu, son secret pour ne pas être dévastée par le pilonnage de ce texte. Elle me répondait ceci :

«L’acteur est toujours dans une «interzone», entre maîtrise et perte de contrôle. Mais il ne doit pas se laisser atteindre par ses personnages. C’est parce que je ne suis pas atteinte par les ombres de Sarah Kane que je peux jouer ce texte. Il y a quelque temps, j’ai été très frappée à la télévision par une femme médecin, dont le travail consiste à opérer et donc sauver des enfants siamois. J’ai admiré à la fois sa beauté et sa grande froideur. Je me suis retrouvée dans cette figure. Le comédien dissèque la vie. S’il n’est pas d’une froideur totale, il ne peut pas agir.

Isabelle Huppert comparait le geste de l’acteur à celui du chirurgien. Son 4.48 Psychose était bien une opération au bout de la nuit. Glaçante et bouleversante pour cela.