A la gare des Eaux-Vives, la grande déprime des commerçants

Fréquentation en baisse, chiffre d’affaires en chute libre et, parfois, abandon, les restaurateurs autour du chantier du CEVA ont le moral en berne. Par Emilie Mathys

«Commerces ouverts», indique un panneau au seuil de l’avenue de la gare des Eaux-Vives. Une information qui n’est pas de trop tandis que l’on contemple le triste spectacle qu’offre cette rue emblématique du quartier de la rive gauche, surplombée par l’agence immobilière Bernard-Nicod. Trottoir à la limite du praticable, aucune place de parking à l’horizon et décor sinistré:  l’animation c’est du côté du chantier du CEVA, auquel l’artère fait face, qu’il faut la chercher.

Fermeture de restaurants

«Ce chantier a bousillé le quartier. Tout le monde pleure»,  se désole une cliente du Snack Bar en cet après-midi pluvieux. Et pour cause. La gérante a décidé de mettre les clés sous la porte à la fin de l’année. Depuis le début des travaux dans la rue, en septembre 2018, le bistrot enregistre une baisse de 60% de son chiffre d’affaires. «Je n’arrive plus à payer mes factures et j’ai dû licencier une employée. Ce n’est plus supportable»,  regrette la cafetière. Les clients qui osent encore franchir la porte sont les fidèles. Les autres ont abandonné, faute de place de stationnement et de vacarme incessant.

L’arcade voisine, elle, est déjà vide. La boulangerie Pouly qui l’occupait jusqu’alors a mis les voiles fin août. Quant au buraliste de l’artère, il est fermé depuis deux jours alors qu’habituellement les portes de son tabac sont ouvertes 7 jours sur 7. Ce dernier souffrirait particulièrement des travaux, avec des recettes qui auraient diminué de 75%.

«Le soir, on ne tourne plus»

Au numéro 6, l’emblématique Café des voyageurs tient le coup mais a lui aussi été malmené par l’arrivée du chantier de la future gare qui abritera le Léman Express. Gérant pendant plus de vingt ans, Jean-Luc Leroux a en effet décidé de plier bagage au printemps 2018.

Aujourd’hui, c’est le fils de la propriétaire qui a repris «dans l’urgence» les rênes du restaurant. «On se maintient grâce aux couverts du midi. Les ouvriers et les gens travaillant dans le quartier viennent encore. Le soir, par contre, on ne tourne plus. Aujourd’hui, par exemple, nous n’avons aucune réservation», déplore Davide Lembo qui dit accuser une baisse de 70% de sa fréquentation depuis septembre 2018.

«Vivement 2020!»

Il tourne actuellement avec 6 employés contre 12 lors de la précédente gérance. Lui aussi dénonce une bétonnière et une phase d’hydro démolition qui ont mis les nerfs des clients et du personnel à vif, sans parler de la poussière engendrée par les travaux et des automobilistes affamés tournant désespérément en rond. Pourquoi s’acharner à rester? «Le Café des voyageurs est dans la famille depuis 1974, c’est une affaire de cœur. Et, surtout, nous voyons un gros potentiel en 2020 avec la fin des travaux et la mise en route de la gare. 50’000 pendulaires par jour sont attendus.»  Davide Lembo en est certain, il y aura du travail pour tout le monde.

Cette salle de sport qui mise sur le quartier

Une perspective prometteuse qui a motivé le restaurant Ciao, ouvert depuis un mois, et la salle de sport EVO Fitness présente depuis novembre 2017, à s’installer plus haut sur l’avenue de la gare des Eaux-Vives. Tous deux y voient un «emplacement stratégique», avec qui plus est un parking souterrain, profitant du flux de passagers qui s’arrêtera volontiers pour un wrap ou une séance de cardio.

Situé en contrebas, le restaurant le Rochemont, qui fermera lui ses portes à la fin de l’année, ne partage pas cet optimisme: «Avec le nouveau centre commercial, les clients ne voudront plus sortir. Tout est fait pour que les petits commerces ferment!», dénonce le restaurateur qui a baissé les bras face à la situation. Il dit avoir demandé des indemnités à la Ville, sans réponse.

Aucun dédommagement pour les commerces

En effet, en raison de «l’intérêt public» que représentent ces travaux, aucun dédommagement ne sera versé aux commerces, quand bien même des locataires de cette même rue ont réussi à se faire rembourser jusqu’à six mois de loyer par leur régie et les CFF. Pour d’éventuelles indemnités, il faudrait que le chantier soit la cause de «dommages considérables»  et, surtout, les autorités considèrent que «les commerçants bénéficieront à n’en pas douter de ces nouveaux aménagement réalisés par la Ville de Genève.»

En attendant, beaucoup dénoncent le manque de communication de la Ville et particulièrement le flou qui entoure la fin de travaux du CEVA. Contacté, le département des constructions et de l’aménagement (DCA) assure que «les aménagements des espaces publics en lien direct avec les sorties du Léman Express seront bien terminés pour le 15 décembre 2019.» Des aménagements se poursuivront cependant, en lien avec les bâtiments encore à construire.

Emilie Mathys