La Comédie, une auberge hospitalière ouverte à toutes les singularités

Genève, Suisse, 4 décembre 2020. Jury pour l’élaboration de l’affiche du festival Viva. Propositions faites par des élèves du CFP arts visuels de Genève. © Niels Ackermann / Lundi13

Chargées de l’action culturelle de la maison, Tatiana Lista, Florence Terki et Tiziana Bongi dévoilent leurs plans pour que le théâtre rassemble le plus grand nombre à toute heure du jour et de la nuit

«On a beaucoup travaillé de manière souterraine», souffle Tatiana Lista. En ce début d’après-midi, la jeune femme a l’air mutin d’une Colombine, cette fine guêpe qui pique au bon endroit dans la commedia dell’arte. A la tête de l’action culturelle, elle construit un canevas qui devrait inscrire de plain-pied la Comédie dans son quartier et dans la ville. A ses côtés, ce même jour, Florence Terki et Tiziana Bongi opinent du chef, assises sur une banquette orange, qui évoque un Transsibérien d’autrefois. Elles aussi contribuent, depuis deux ans, à un scénario dans lequel visiteurs d’un jour, voisins, familles, amoureux de Shakespeare ou d’Alfred Jarry sont appelés à jouer un rôle. Tous en scène, au fond.

Le Pont des arts

Un scénario pour tous ? Mais de quoi parle-t-on ? De l’action culturelle, nommée ici le «Pont des arts». Ce champ recouvre mille et une activités, artistiques, pédagogiques, sociales, destinées à transformer la Comédie des Eaux-Vives en auberge hospitalière et familière. Une stratégie au long cours en somme pour briser la glace.

«Notre ambition est de donner vie à ce bâtiment, raconte Tatiana Lista, qu’il rassemble largement les Genevois, qu’ils aient envie d’y passer du temps, à l’occasion d’un spectacle, mais aussi en dehors d’une représentation. Il faut qu’ils vivent dans nos murs une expérience mémorable qui peut prendre la forme d’une initiation au hip-hop sur la grande scène, d’un brunch thématique, d’une immersion sonore dans la psyché des Eaux-Vives, comme l’artiste Zoé Cadotsch le propose à travers une installation, un xylophone géant qu’on a fait construire, pour qu’on entende ses «Voix de quartier».

«La Comédie, ce n’est pas pour moi, c’est de la haute culture»

Séduire la population d’un territoire chamboulé par la double construction d’une gare qui étend ses tentacules sous-terre et d’un théâtre qui s’étire comme un titan à ciel ouvert. Tel était l’objectif premier du trio, confirme Florence Terki, responsable du volet «inclusion». «Depuis 2017, j’ai assisté à de multiples réunions d’associations du quartier pour parler de notre théâtre et assurer les habitants qu’il était aussi le leur. A la première séance, l’un d’eux m’a dit : «De toute façon, la Comédie, ce n’est pas pour moi, c’est de la haute culture. C’est ce préjugé qu’il a fallu déjouer. »

Des emplois pour les jeunes du quartier

Les formes de ce prosélytisme poétique ont été multiples, poursuit Tiziana Bongi, dont la mission consiste à fidéliser une population juvénile, celle qui préfère les skateparks aux planches de Jean-Luc Lagarce ou d’Harold Pinter. «Nous avons proposé à des jeunes des emplois ponctuels, en collaboration avec des travailleurs sociaux. Certains se sont ainsi retrouvés à monter une structure scénique dans le foyer.»

Pont des arts, donc. Davantage qu’un nom au charme romanesque, un idéal. Sur leur banquette orange, au dernier étage de la Comédie, là où s’affaire le staff de la maison, le trio dessine la carte de son territoire. La fierté de Florence Terki, c’est ce «Label Culture Inclusive» que l’institution a obtenu. Ce titre, elle l’honorera ces prochains jours en accueillant des soirées de danse, un défilé de mode inclusive et une conférence de Virginie Delalande, malentendante au destin hors du commun, sur le pouvoir de la différence, le tout dans le cadre de la biennale Out of the box.

Une attention aux personnes en situation de handicap

Ce label est surtout le socle d’un programme visant à accueillir toutes les singularités, toutes les fragilités, comme le souligne Florence Terki. Elle a créé un comité d’experts, constitué d’une douzaine de personnes en situation de handicap, physique ou psychique. «Nous avons réfléchi ensemble aux façons d’améliorer l’accessibilité des salles. Grâce à l’un de nos experts malvoyants, nous avons affiné notre signalétique. Cela peut paraître superflu, mais pour ces personnes, c’est essentiel. Notre désir, c’est qu’elles puissent voir les spectacles, assister aux médiations, bref, qu’elles se sentent chez elles à la Comédie.»

Genève, Suisse, 10 décembre 2020. Évaluation de l’accès et signalétique du nouveau bâtiment de la Comédie pour les personnes malvoyantes ou à mobilité réduite. © Niels Ackermann / Lundi13

Le Pont des arts relève d’une ingénierie joyeuse. L’hospitalité est son maître mot. Elle peut impliquer que des artistes se déplacent à domicile, comme les acteurs du collectif romand Sur un malentendu: pendant la pandémie, ils se sont rendus dans des EMS pour rencontrer leurs pensionnaires et glaner l’extraordinaire de leurs vies, matériau qui nourrira un spectacle qu’ils joueront pour eux.

Genève, Suisse, 10 décembre 2020. Performances de comédiens par Zoom avec des résidents d’EMS. © Niels Ackermann / Lundi13

Vivement dimanche

Cette passion de l’accueil devrait aussi donner lieu à des dimanches qui ont le charme des pique-niques de campagne, se réjouit Tatiana Lista. «Nous voudrions proposer quatre à cinq fois par an une journée qui serait celle des familles et ce dès 10h du matin. Elle pourrait commencer par un atelier musical à l’intention des parents et des enfants, se poursuivre avec un brunch, avant un autre atelier, de théâtre par exemple. Suivraient un goûter, puis un thé dansant ou une initiation au voguing, au choix. Ce bouquet dominical pourrait réunir jusqu’à 500 personnes.»

Dans leur compartiment de Transsibérien, le trio du Pont des arts décline un rêve de cartographie pour que la Comédie soit sans frontière. Avec des décors conçus en fonction des stations. Une forêt enchantée est ainsi en gestation. «L’idée, c’est de créer la surprise à chaque fois», glisse Tatiana Lista. Colombine a de sacrés pouvoirs.