«Ce chantier est très sensuel, surtout en ce moment, avec le béton brut»

Amoureux des matières, notre photographe Eddy Mottaz chroniquera, par l’image, la transformation du site. Entretien avant le premier épisode

Chaque image est pour lui une musique, souffle-t-il. Les Variations Goldberg  de Bach, une sonate de Mozart, une prière fleuve de John Coltrane. Eddy Mottaz (portraituré pour «Le Temps de la Comédie» par Lea Kloos)  est un photographe habité par le son, celui que le commun des mortels n’entend pas, celui que produisent un visage pelotonné dans une rêverie, la rocaille où niche l’aigle, la liasse chiffonnée du tribun dans ses oeuvres.

Est-ce cette oreille qui donne alors ces photos qu’on distingue toujours, celles qui ont fait le bonheur du Nouveau Quotidien jusqu’en 1998, celles qui depuis frappent les lecteurs du Temps? Ou alors cet appétit de la matière, de la pierre en particulier? Les deux, à l’évidence.

Sculpteur sur pierre en quête de lumière

A la sortie de l’adolescence, Eddy Mottaz, qui a grandi à Yverdon-les-Bains, se forme au métier de sculpteur sur pierre. Il apprend à en percevoir le murmure, à en discerner les veines; il en rêve la nuit même, quand elle résiste trop le jour. La pierraille le hante, la photo l’aspire. C’est elle qu’il finit par choisir.

Parce que ce baroudeur doux a la passion des métamorphoses discrètes, des usages d’un jour qui feignent d’être immémoriaux; parce qu’il perçoit ce qui vibre sous l’apparente inertie d’un matériau, nous lui avons demandé, parallèlement à Niels Ackermann, d’être le grand témoin de la naissance de la nouvelle Comédie.

Tandis que son confrère s’intéressera au poids d’un geste, à la haute précision d’un corps qui ne chipote pas devant la tâche, Eddy Mottaz, lui,« feuilletonnera» l’aventure d’un espace particulier – la grande salle par exemple –  dont il suivra  la transformation. Il éclairera l’esprit de la matière, mais aussi les vestiges du labeur des hommes qui sont les vraies fondations du futur théâtre.

Comment êtes-vous passé du métier de sculpteur sur pierre à celui de photographe?

Eddy Mottaz: Ado, je dessinais et c’est de cette activité qu’est né le besoin de volume. J’ai voulu apprivoiser la pierre, j’ai appris à travailler à la main et j’ai découvert qu’il fallait des semaines pour que vive ce qu’on avait en tête. Après cet apprentissage, je suis entré à l’ESAV, l’école supérieure d’art visuel à Genève, pour me former au modelage. Mais j’ai découvert la photo, c’est-à-dire la sculpture par la lumière.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans un chantier?

Montrer tout ce qui va disparaître. Ce sont les utilités provisoires qui me fascinent. Ces ouvriers qui organisent la future scène pour déposer les outils. Ces choses fugaces deviennent des sédiments. Ce qui me frappe aussi, ce sont le bruit et l’odeur du chantier: le fracas causé par les bétonnière est monstrueux; le béton chaud a le parfum de l’été.

Y a-t-il une sensualité propre à un bâtiment en construction?

Oui! C’est sensuel, un chantier, surtout en ce moment avec le béton brut. C’est cet état que je voudrais saisir avant qu’on ne l’oublie. Au début, tout ici s’apparentait à un champ de ruines; maintenant, on voit clairement la finalité de la construction. Ce mouvement, j’ai envie de le documenter.

Qu’est-ce qui vous a surpris?

Je n’avais pas d’idée préconçue, j’étais donc prêt à la découverte. Ce que je ne comprends pas en revanche, c’est le bâtiment qu’on a construit en face du théâtre: il est quelconque et son caractère massif ne permet pas le développement du quartier. C’est une occasion manquée pour la Ville de proposer quelque chose de très beau.

Quel rapport avez-vous avec le théâtre?

J’y vais peu, hélas. Je suis d’abord sensible à la musique. Mais ce que je cherche de plus en plus, c’est la présence vivante des interprètes. D’une scène émane une vibration. La nouvelle Comédie devrait être hors du commun de ce point de vue. Ce sera un navire de pierre, je suis persuadé qu’il aura un rayonnement européen.

Si vous n’aviez été ni photographe ni sculpteur sur pierre, quel métier auriez-vous exercé?

Paléontologue. Je suis passionné par les chemins qu’a pris l’humanité pour se développer. Je peux rêver longtemps devant les flèches des hommes néolithiques. Ou devant les outils de Michel-Ange. 

Qu’est-ce qu’une photo réussie pour vous?

Il n’y en a pas. C’est toujours en cours. Ce qui m’intéresse, c’est de faire l’image, d’être pleinement dans la matière et de progresser.

Comment expliquez-vous le rôle que joue la musique pour vous?

J’aurais du mal à le dire. Ce que je sais, c’est que chaque sujet a pour moi sa musique. Elle vient de la personne. J’essaie toujours d’être perméable à ce que j’entends. La photo, ce n’est pas seulement une prise du réel, c’est une vibration.

Quelle est la musique que vous inspire le chantier de la Comédie?

Une Partita pour violon de Bach.