Rémy Pagani sur la nouvelle Comédie: «Le public viendra de Lausanne, Evian, Paris»

Nouveau public pour le théâtre, métamorphose d’un pan de ville, cohabitation avec CFF Immobilier: ministre municipal des Constructions, Rémy Pagani explique ses choix

Le dimanche est jour de chantier pour Rémy Pagani. Le samedi aussi. C’est ce que le ministre municipal des Constructions et de l’Aménagement confie, dans une salle de conférences de son département, rue de l’Hôtel-de-Ville. On l’imagine longer les murs de la future Comédie, la mine froissée, avec dans l’œil la noirceur de ceux qui doivent trancher. «Tous les week-ends, je dois signer des contrats au nom de la ville, il faut que je me fasse une idée du risque que je prends.»

De l’esplanade de la future Comédie, de ce chaos d’où devraient naître allées et bancs pour marivauder, le magistrat d’Ensemble à gauche connaît le moindre nid-de-poule. Il aime l’idée qu’un théâtre et une gare échangent leurs fluides. Et il n’a qu’une hâte: que la ville se transforme à la faveur de ce mélange des genres.

Le Temps: Un théâtre sur une gare, n’est-ce pas la fausse bonne idée?

Rémy Pagani: Quand j’ai pris mes fonctions en 2007, j’ai tout de suite été favorable à la construction d’une nouvelle Comédie, plutôt que de rénover le bâtiment actuel, trop vétuste et mal agencé. J’ai lancé une recherche de sites et le quartier de la gare des Eaux-Vives s’est imposé sous l’impulsion des professionnels de l’Association pour une nouvelle Comédie, et notamment Sandro Rossetti, qui étaient sur la même ligne. Nous étions persuadés que c’était le bon scénario.

Mais cette gare souterraine par laquelle devraient passer quelque 50 000 passagers par jour risque d’être une incroyable source de nuisance, sonore notamment?

C’est l’un des enjeux de cette construction: faire en sorte que les vibrations des trains, que la vie de la gare, n’aient pas d’incidence sur les deux scènes. Des ingénieurs de très haut niveau ont été mandatés pour régler le problème. Cette gare est une chance pour le théâtre. Voyez ce qui se passe avec Vidy et Kléber-Méleau à Lausanne. Il faut prendre sa voiture pour s’y rendre, ce qui est souvent compliqué. Le train permettra aux Lausannois, aux Français de toute la région d’Evian et de Thonon, voire de Paris, d’accéder facilement à la Comédie.

CFF Immobilier est un acteur majeur dans le développement du quartier. Ne craignez-vous pas que sa transformation ne vous échappe?

Ils ne sont pas maîtres de tout. La ville possède la moitié des terrains. Et CFF Immobilier n’a pas carte blanche. Nous avons créé une structure partenariale et nous sommes dans un rapport de bonne collaboration. C’est dans ce cadre-là que nous avons mutualisé les parkings, de telle sorte que les habitants puissent y avoir accès à des tarifs raisonnables. La galerie commerciale de la gare sera gérée par CFF Immobilier.

L’homme de gauche que vous êtes ne doit-il pas déplorer cette mercantilisation?

Ils sont propriétaires de cet espace, mais la partie prévue pour le Food leader est à la ville comme service alimentaire aux voyageurs et de proximité pour le quartier. Cette location sera rentable. Quelle enseigne avez-vous choisie? C’est aux CFF de décider. Cela devrait rapporter plusieurs millions par an à la ville. On aura besoin de cet argent, pour financer la crèche prévue sur place, qui est nécessaire, et pour augmenter, comme c’est prévu dans le cahier des charges, la dotation de la Comédie.

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Comment va se transformer le quartier des Eaux-Vives dans les deux ans à venir?

Il sera méconnaissable. On est en train de construire une plage à quelques centaines de mètres au bord du lac qui verra le jour en 2019; quelque 300 logements, des coopératives essentiellement, vont voir le jour dans le périmètre de la gare, ainsi qu’un nouveau centre sportif comparable à celui de la Queue d’Arve. Quant à la gare des Eaux-Vives, c’est une ouverture privilégiée sur la région, sur la France voisine. Elle devrait même permettre à terme de rallier Martigny par la France. Le tracé est prévu de longue date. Il n’y a que 18 kilomètres de voie à construire, cela peut se faire. C’est un combat que je mène.

Dans ce genre de chantier, il est ardu de respecter les délais, preuve en est le Grand Théâtre, où tout a été chamboulé à cause d’une nappe phréatique…

Les délais seront tenus, tout comme le budget. Le Conseil municipal nous a ouvert un crédit de 105 millions, il ne sera pas dépassé, c’est la règle que je me suis fixée depuis que je suis conseiller administratif.

Parallèlement, des acteurs privés s’apprêtent à bâtir et à financer une Cité de la musique. N’est-ce pas exemplaire aussi?

Je leur souhaite bonne chance et j’attends de voir comment elle va se réaliser. La force du projet de la nouvelle Comédie, c’est qu’il a été identifié et reconnu juste par la population. Parce qu’il a été porté par un groupe de professionnels. Ma méthode consiste à travailler avec les gens du terrain.

Quel rapport entretenez-vous avec le théâtre?

J’en ai beaucoup fait quand j’avais 17-18 ans, au début des années 1970. J’aime l’idée de ces communautés qui se forment dans une salle obscure pour assister au spectacle des passions. Je continue d’y aller beaucoup.

Quand vous étiez adolescent, qui étaient vos héros?

Le Daniel Cohn-Bendit de Mai 68, pour son panache et sa force de résistance. L’acteur Jean-Claude Drouot dans le rôle de Thierry la Fronde, ce feuilleton qui a fait mon bonheur quand j’étais enfant.

La Comédie aura besoin dès 2020 de 12,5 millions de subventions, soit le double de ce que la ville lui octroie aujourd’hui. Comment faire pour que les politiques se mobilisent au-delà des clivages partisans?

J’ai bien l’intention de faire visiter le chantier aux conseillers municipaux de tous bords et aux députés du Grand Conseil qui ont voté la moitié du budget, soit 45 millions, pour qu’ils voient les choses. Je suis convaincu que ce travail de pédagogie paiera et que tous comprendront que c’est une chance pour la région et pour Genève. Nous devons tirer tous ensemble ce long chaland le long du canal de la vie.

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