Paroles d’ados, (suite): «On y verra, peut-être, des skateurs dans le hall»

Sur le chantier, Achille, Alyssa, Dorian et leurs camarades, 14 ans,  rêvent à haute voix de leur future Comédie. Le premier épisode cavalait, la suite hallucine

Enivrant comme une chasse au trésor. Sur le chantier de la Comédie, une classe du Cycle d’orientation de la Gradelle a failli se perdre dans les allées du futur. Mae, Layla, Noella et leurs camarades ont pêché infos, sensations et boîtes à surprises dans des salles vastes comme des docks. De retour en classe, ils ont couché sur le papier leur cargaison.
Vous découvriez il y a quelques jours le premier épisode. La suite témoigne toujours du même plaisir d’écrire, sous l’égide de leur professeur de français, Jean-Marc Cuenet.

« On enjambe, on trépigne,
on butte, on trébuche,
on monte, on descend.
Et dans cet enchevêtrement d’échafaudages, où on gèle,
on découvre un lieu qui se crée, qui se construit.
On sait ce qu’on voit maintenant.
On l’a sous les yeux.
C’est bien,
mais on sait aussi que c’est la promesse de ce qu’on y verra

l’envers du décor,
des pièces de théâtre, de la danse,
nos amis,
la fabrication des décors et la confection des costumes,
des gens débattre sur des sujets,
des gens qu’on connait,
on y verra, c’est sûr, mieux et on sera mieux assis, heureusement,
on y verra des créations : des pièces modernes et anciennes,
des piétons traverser le hall,
du monde quoi !
des gens heureux ou juste un peu plus heureux ou moins malheureux : à choix,
des beaux décors originaux, des gens qui travaillent,
on y verra … rien si les stores de l’atelier de création des décors sont fermés,
juste une très grande baie vitrée,
des skaters peut-être dans le hall,
des comédiens talentueux comme de mauvais : pas le choix.

On y verra tout ça et certainement encore plus.
Mais il faudra aussi être un peu actif.
Parce que c’est important ce qu’on y fera

des rencontres entre générations,
des discussions intéressantes,
rien, juste regarder, rire, se divertir et aussi applaudir,
des décors, de la comptabilité, des costumes,
des créations de spectacle : mise en scène et chorégraphie,
des lumières,
on y fera la cuisine – comme à Carouge où la salle provisoire s’appelle justement La Cuisine ! -,
un peu d’argent aussi, y a pas de honte à ça,
on y fera de la plongée dans des univers que l’on ne connait pas,
du silence pendant les représentations
des réunions et certainement de nouvelles rencontres,
un petit somme discrètement de temps en temps,
des critiques, des ajustements sonores, des peintures de décors, des essayages de costumes,
et de la marche à travers les couloirs et les escaliers

La visite continue. On passe dans un immense couloir.
On se croirait dans un hall d’entrepôt. Dans un tunnel.
Dans un simulateur pour avions.
Il y a une structure comme des yeux de mouches.
En acier.
C’est le revêtement qui tapissera l’intérieur de la boîte.
Vous savez la boîte dans la boîte.
La salle de théâtre, quoi. Là, secret défense.
On n’a pas le droit de prendre de photo.
Faut attendre de découvrir la salle finie pour en parler.
Faut venir hanter les lieux.
Et c’est vrai, l’important c’est de savoir si on y viendra
et pourquoi on y viendra.
Allez c’est dit : nous et les autres, les usagers et les usagères, le public aussi,
on y viendra
pour toutes raisons que l’on a déjà évoquées avant
mais aussi

pour s’amuser et s’instruire,
parce qu’on aime ça,
pour découvrir des histoires,
travailler tous les matins et tous les soirs,
se cultiver mais aussi pour se détendre,
pour faire plaisir à notre enseignant :-),
pour prendre un raccourci,
On y viendra pour passer un bon moment,
au bar par exemple !
retrouver des amies et des amis,
rire et pleurer et ensuite manger quand même,
pour profiter de sa soirée
se déconnecter
enfin pour voir des gens qu’on ne connait pas nous raconter des histoires
parfois un peu déconcertantes voire totalement incohérentes

On émerge du couloir. On regarde autour de nous.
Aujourd’hui, c’est pas encore ça.
Il y a des trous dans les gradins, on dirait un rangée de latrines.
Ça n’en sont pas. Bien.
On nous explique que ce sera pour la ventilation.
Mieux. On nous demande pourquoi on y vient.
Aujourd’hui. Vendredi 15 février.
Juste avant les vacances.
Ça, c’est une question facile.
Aujourd’hui on vient, nous et les autres, sur le chantier de la Nouvelle Comédie

parce qu’on n’a pas le choix,
pour y poser des planches,
gagner de quoi manger,
comprendre la fonction du lieu et en voir l’origine et la source
chercher le façadier : fantôme que l’on ne trouvera jamais : un véritable façadier-savonnette
On y vient les uns pour construire la Nouvelle Comédie, les autres, nous, les privilégiés, pour les regarder et les rencontrer,
pour voir l’avancée des travaux,
projeter ce que l’on y fera,
parler aux différents corps de métier,
participer à la conception d’un bâtiment prometteur,
pour voir à quoi ça ressemblera,
pour vérifier toutes les canalisations, voir l’émergence d’un projet et l’imaginer dans le futur
mais aussi juste parce qu’on va écrire dessus.»