«Le théâtre en gare, gare au théâtre!»

A notre invitation, le conseiller municipal socialiste Pascal Holenweg prend la plume. Il attend de la future Comédie des Eaux-Vives qu’elle rompe avec l’onanisme culturel qui selon lui règnerait trop souvent sur les planches

Le Grand Conseil genevois avait difficilement accepté un crédit de 45 millions pour la construction de la nouvelle Comédie, le Conseil municipal de la Ville ayant préalablement accepté un crédit de 53 millions. Mais une fois construite, cette «fabrique de théâtre» sera purement municipale: la condition posée par une partie de la droite pour accepter de participer financièrement à sa construction était que le canton ne soit plus engagé dans son exploitation et son fonctionnement et n’ait pas à la subventionner.

Le canton se désengage donc de la Fondation d’Art Dramatique (qui chapeaute le Comédie et le Poche), et à Genève, le théâtre devient une responsabilité, une charge, un enjeu purement municipaux. Ainsi va la politique culturelle de la capitale mondiale du monde mondial: le théâtre en ville, c’est la Ville. Soit.

De nouvelles fabriques dans les villes

Il y aura donc aux Eaux-Vives, à portée de voix d’une gare, un nouveau théâtre. Plus qu’un théâtre, même, plus qu’une scène: une fabrique de théâtre. De théâtre comme forme d’expression et de création culturelle, de théâtre comme lieu de «fabrication» de cette expression et de cette création. Les fabriques de l’industrie disparaissent de nos villes ? En voilà de nouvelles. L’enjeu, en termes de politique culturelle, sera de donner à la nouvelle Comédie la force d’une présence artistique novatrice telle qu’elle puisse réellement jouer le rôle qu’on attend d’elle.

Le meilleur de la culture passée

Car il nous reste non à réinventer «la» culture, ou à inventer une «autre culture », mais à donner les conditions de cette invention – celle d’une culture qui ne soit ni séparée de la vie, ni identifiée à elle; qui soit capable d’exprimer l’espérance d’une vie autre plutôt que la vacuité de la vie présente. Au fond, cette expression de l’altérité, de l’espérance, de l’opposition à la réalité donnée, fut le meilleur et l’essentiel de la culture passée -que l’on y exprime l’attente ou la volonté d’un changement, ou la nostalgie de l’Eden.

C’est de l’autisme culturel dont il nous faut sortir, de cette « culture » où les peintres peignent pour des peintres l’impossibilité de continuer à peindre, où les écrivains écrivent pour des écrivains des livres sur la douleur d’écrire, où les musiciens composent pour d’autres musiciens des musiques faites d’échantillons d’autres musiques.

Un théâtre et une gare aux Eaux-Vives ? Gare au théâtre : s’il porte parfois des masques, il nous arrache bien plus souvent les nôtres.

 

Pascal Holenweg