«Mon quartier va devenir autre. Vais-je l’aimer ainsi métamorphosé?»

Nouvelle directrice du Musée Jenisch à Vevey, l’écrivaine genevoise Nathalie Chaix  était attachée à l’atmosphère délicieusement rétro de l’îlot des Eaux-Vives. Parole d’une flâneuse distinguée

Quand on me demande où j’habite à Genève, je réponds : à côté de la future nouvelle Comédie. Ce projet, je l’ai appelé de mes vœux pour de multiples raisons :

. Parce que je suis une amoureuse des textes et du théâtre, facile.

. Parce que j’ai connu mes premiers émois de spectatrice dans trois lieux : La Comédie, le Poche et Château rouge, à Annemasse. J’ai découvert le théâtre avec ma prof de français qui nous emmenait à Château rouge (nous n’allions pas au théâtre chez moi). À Genève, je récupérais les abonnements des amies de ma voisine quand elles étaient malades ou indisponibles. L’occasion d’une sortie dans un monde qui n’était pas le mien, mais auquel je rêvais d’appartenir.

. Parce que devenue une professionnelle de la culture, j’ai travaillé avec la Comédie, et tous les autres théâtres, pour mettre en place la carte 20 ans/20 francs, le chéquier culture ou encore les mesures en faveur des organismes sociaux. Aider une personne à pousser les portes du théâtre pour la première fois, le sens de ma mission.

. Parce que Genève mérite un théâtre – et même deux ! – qui fasse rayonner la ville au-delà de ses frontières et qui permette d’accueillir les grandes productions européennes.

. Parce que la culture nous aide à construire notre identité, à penser l’altérité, à être curieux, à avoir des émotions artistiques (ma drogue favorite).

«J’aime sortir mon cahier dans le noir, écrire si le spectacle me stimule ou au contraire m’ennuie»

À la Comédie, j’ai ri, pleuré, été énervée, épatée ou renversée ; j’ai rencontré des amis, des actrices, des acteurs, des auteurs, des metteurs en scènes, des scénographes, discuté avec les équipes, avec les directeurs (Anne, Hervé), tissé des liens d’amitié ; j’ai admiré les comédiennes et les comédiens : quel degré de désinhibition et de courage faut-il pour être là, devant les yeux de tous ; j’y ai écrit — j’aime sortir mon cahier dans le noir, écrire si le spectacle me stimule ou au contraire m’ennuie ; j’aime ne pas pouvoir sortir, être bloquée là.

Et pour avoir ce nouveau théâtre, plus grand, plus adapté, j’ai assisté à la transformation de mon quartier. Destruction de l’ancienne gare des Eaux-Vives. Un premier immeuble immense a poussé. Un immeuble horrible (j’aime les constructions anciennes). Cachant en partie la Nouvelle Comédie dont se dessinent les contours.

«Un matin, il ne reste plus que la souche et on a envie de pleurer»

Le plus dur a été l’abattage des arbres de la rue. Un matin, il ne reste plus que la souche et on a envie de pleurer. L’incessant ballet des camions, les rues fermées, le bruit, la poussière, la boue, le Café des voyageurs qui n’a plus de terrasse et presque plus de clients, les places de parking supprimées, bref, les désagréments d’un si grand chantier. Tout cela compensé par la proximité avec cette future Nouvelle Comédie : mon appétit de spectatrice sera aisément rassasié. En revanche, la gare qui « verra défiler chaque jour quelque 50 000 voyageurs et pendulaires », les 5 000 m2 dévolus aux commerces et le parking de 500 places me font nettement moins rêver. Mon quartier va devenir autre. Vais-je l’aimer ainsi métamorphosé ? J’ai des doutes. Mais je me console avec la perspective de la Nouvelle Comédie.

La semaine dernière, nous avons signé.

Nous allons déménager à l’autre bout du lac.

Déjà un regret : la Nouvelle Comédie sera à plus d’une heure de la maison. Je ne serai plus aux premières loges.

Nathalie Chaix