La Voie verte fait le bonheur des riverains

Circulation intensive, mélange de trottinettes, de vélos et de landaus, d’écoliers et de frontaliers ultra-pressés: l’axe qui relie la future Comédie des Eaux-Vives à Annemasse pouvait effrayer a priori. Les habitants le plébiscitent au contraire. L’enquête d’Emilie Mathys

S’il y a encore peu, pelleteuses et bétonneuses faisaient la loi sur ce qui allait devenir la Voie verte, elles ont aujourd’hui laissé la place à un flux continu de joggeurs, cyclistes et autres flâneurs. Pas de répit pour les Eaux-Viviens. Inauguré en avril 2018, le tracé dédié à la mobilité douce qui relie Genève-Eaux-Vives à Annemasse sur cinq km a, en effet, changé le quartier en profondeur. Entre des travaux à rallonge et de l’animation constante, les voisins, dont les habitations se dressent des deux côté du sentier, n’ont pas eu d’autre choix que de s’adapter.

Des habitants mal informés

«Lorsque nous avons emménagé, la Voie verte était en pleine construction. Selon le panneau officiel les travaux devaient durer jusqu’en août 2017, puis les mois ont passé jusqu’à son ouverture partielle en décembre 2017. C’était un soulagement car l’attente a été lourde»  admet Aline, dont la chambre à coucher et le balcon surplombent le sentier dédié à la mobilité douce. «L’ouverture fut une surprise car nous n’avions reçu aucun tract ou aucune information de la part de la Ville.» Un manque de communication des autorités également pointé du doigt par Karine, résidente avec sa famille dans une maison à l’avenue du Saint-Plomb, et qui avait pour habitude de s’enquérir «directement sur le site officiel.»

Des maisons endommagées

Pour Tanya et son chien «Duke», croisés lors de la promenade quotidienne, ce sont surtout le bruit et les déviations de circulation qui ont été pénibles. Quelques centaines de mètres plus tard, Martine, riveraine également, tient cependant à souligner que «les travaux ont vite été oubliés, cette Voie verte ce n’est que du positif!».

De l’autre côté de la frontière, outre des places de parkings plus rares, avec pour conséquence des automobilistes garés «à l’autogestion», les inconvénients liés à la construction du tronçon ont dépassé le stade de la poussière pour Sonia et Julien. L’une a subi une fenêtre cassée et un taux d’humidité qui a drastiquement augmenté dans sa cave, tandis que l’autre a vu le mur de son garage se fissurer suite à diverses excavations qui ont créé des caisses de résonance. Des problèmes qui seraient dus à «l’usure de la maison», selon les autorités françaises qui n’ont versé aucune indemnité.

Des jardins remis en état

En longeant le sentier, les jardins débouchant sur le sentier s’offrent à la vue des badauds. Ont-ils subis des dommages? «Il y a eu très peu de cas où il y a eu emprise chez des tiers», assure Davide Calderara, directeur adjoint du projet du CEVA et en charge de réaliser la Voie verte. «Le chemin s’est construit sur la surface déjà existante d’une ligne ferroviaire. Les propriétaires faisaient auparavant face à des rails de train, désormais c’est face à une voie de mobilité douce», explique l’ingénieur qui n’a pas connaissance d’éventuelles oppositions de riverains. Une fois le sentier déployé, les jardins ont été remis en état, la végétation restaurée, bien que celle-ci se fasse encore timide, et les clôtures ont retrouvé leur place selon les souhaits des propriétaires. Soit avec accès direct à la Voie verte par des portails, ou non, pour ceux qui n’empruntent pas le sentier.

Malgré la cohue, «un axe safe»

Ces derniers semblent toutefois plutôt rares. A entendre les riverains approchés, tous sont des disciples de la Voie verte, que ce soit le weekend pour se détendre, ou tout simplement pour se rendre quotidiennement au travail ou en cours. C’est le cas du fils de Tanya âgé de 9 ans qui se déplace désormais en vélo direction l’école anglaise. «Nous sommes originaires du Canada. Là-bas, il est commun de pédaler dans des zones protégées. C’est ce qui manque à Genève où la circulation est horrible. Avec la Voie verte, mon fils est “safe”.»

Une sécurité également salutaire pour les élèves des trois établissements situés aux abords du sentier. Aux heures de pointe, l’école, le cycle et l’école de commerce de la Gradelle déversent leur lot d’écoliers surexcités à pied, vélo ou trottinette, que l’on observe se bousculer et zigzaguer entre les arbrisseaux, se croyant seuls au monde sur le tronçon.

«Le sentiment d’être privilégié»

Aucun doute là-dessus: de la vie, le «corridor écologique» (selon les mots de la Ville) en a ramenée avec elle. Parfois trop pour certains, comme c’est le cas de Julien d’Ambilly (F), dont des bancs ont été installés sous ses fenêtres et servent désormais en été d’emplacement aux débats avinés et animés jusqu’à tard dans la nuit. Pour les riverains dont les logements ne donnent pas directement sur le tronçon, c’est l’aspect convivial, le dynamisme, les échanges, la luminosité et une verdure grandement appréciée qui sont retenus.

«La Voie verte vit et nous la voyons vivre», résume Aline. Du point de vue de Sonia, l’axe, «incontournable» à ses yeux, pourrait même faciliter la vision des habitants du Grand Genève sur les trajets entre la Suisse et la France car «il y a ici un vrai flux qui ne se remarque pas avec les voitures.» Et Aline de conclure: «On a vraiment le sentiment d’être des privilégiés. Ce type d’initiative, c’est le futur des villes.»

Emilie Mathys