Secrets de chantier, épisode 21

Dans les parages de la Comédie des Eaux-Vives, pas un chat en ces nuits confinées. Sauf notre photographe Eddy Mottaz mystérieusement aimanté par le théâtre

Un décor de cinéma. C’était l’autre soir, sur la route de Chêne, cette artère qui file vers Moillesulaz. Le ciel était d’encre indigo, les rues orphelines de leur cohue. Pas une sentinelle, sauf notre photographe Eddy Mottaz. Comment pouvait-il résister à l’assurance de la Comédie, scintillant comme pour un bal, à ces rails de tramway draguant un pays lointain, à ces grues indolentes comme des cygnes en hiver?

Un décor de cinéma, donc. Allez savoir pourquoi, on pense à «Dogville», le film de Lars von Trier. Il y a quelques jours encore, la cinéaste et metteuse en scène brésilienne Christiane Jatahy répétait dans les murs de la Comédie une version de cette mélodie du malheur. Entre la gare et le théâtre surgirait Nicole Kidman jouant Grace, la fugitive poursuivie par des malfrats. Des habitants sortiraient de leurs tanières et apprivoiseraient l’inconnue.

Elle régnerait sur ce quartier en trompe-l’oeil. Mais bientôt ses voisins la regarderaient de travers. L’étrangère deviendrait une intruse, comme dans le film de Lars von Trier. C’est alors que les gangsters débarqueraient, via le tram. C’est à cette fable morale qu’on repense en admirant le plan cinématographique d’Eddy Mottaz.

Notre photographe décline la beauté étrange d’un delta privé de son courant, ces foules qui devraient jaillir de la grande bouche de la gare. Christiane Jatahy a titré son adaptation de «Dogville» «Entre chien et loup» – on ignore encore quand il pourra être présenté à la Comédie. L’image d’Eddy Mottaz a un air d’«entre chien et loup» : en lisière de nuit, quelqu’un va surgir. Nicole Kidman?